Publié le 06 mai 2014
SOCIAL
Le présentéisme, nouvel indicateur de risque au travail
En France, l’engagement et la motivation au travail se traduisent souvent par une présence accrue dans les locaux de l’entreprise. Pourtant, contrairement aux idées reçues, des horaires à rallonge ne sont pas nécessairement un gage d’efficacité. Depuis peu, le concept de "présentéisme", qui touche principalement les cadres qui ne comptent pas leurs heures, est remis en cause. Explications.

© Chassenet / BSIP
Le présentéisme va-t-il succéder à l’absentéisme comme principal indicateur de la souffrance au travail ? On en est encore loin, mais la notion de présentéisme commence à prendre de l’importance. Et pour cause : une présence accrue des salariés sur leur lieu de travail cache diverses réalités qui représentent des risques psychosociaux et financiers pour l’entreprise.
Si le phénomène d’une sur-présence au travail n’est pas nouveau, la prise en compte de ce problème est récente, comme l’explique Thierry Rousseau, spécialiste du présentéisme au sein de l’ANACT (Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail) : "Nous travaillons sur ce sujet depuis environ 2 ans. Selon certains chercheurs, le présentéisme coûterait plus cher que l’absentéisme. C’est un problème important qui peut entraîner des risques en termes d’image, de sécurité industrielle, de productivité". Aux Etats-Unis, le chercheur américain Ron Goetzel est l’un des rares experts à étudier le présentéisme. D’après lui, les coûts liés à ce phénomène représentent 18% à 60% des coûts qu’un employeur doit supporter en raison des problèmes de santé de ses salariés.
Parmi les différentes manifestations du présentéisme, la plus répandue est celle qui touche les salariés excessivement présents au travail. Denis Monneuse, sociologue et chercheur au sein de l’IAE (l'Institut d'Administration des entreprises) de Paris, explique : "le présentéisme compétitif ou stratégique concerne les cadres qui ne comptent pas leurs heures. On retrouve ces profils dans certains secteurs comme l’audit, ou dans certaines entreprises réputées pour faire beaucoup travailler leurs employés. Le risque majeur du présentéisme compétitif, c’est le burn-out".
Un mal français
Selon un cliché à la vie particulièrement tenace, faire des heures à rallonges est synonyme d’implication, de sérieux et de motivation. En France, contrairement à d’autres pays, comme les Etats-Unis ou l’Allemagne,les cadres ont tendance à ne pas compter leurs heures. Emma, 38 ans, est contrôleur de gestion au sein d’une régie publicitaire d’une cinquantaine de personne. "j’arrive au bureau à 8h et je repars à 20h, en prenant une quarantaine de minutes pour déjeuner. Mais officiellement, je suis censée faire 9h-18h". Maman de deux enfants, elle estime qu’elle n’a pas le choix : "lorsque je suis arrivée il y a deux ans, c’était une création de poste, je savais que les premiers mois seraient difficiles. Depuis c’est différent, je suis entrée dans un cercle sans fin : plus je fournis de données et plus les collègues sont demandeurs. Pour l’instant, ma productivité ne s’en fait pas ressentir, mais à force de manipuler les chiffres 12 heures par jour, je risque d’inverser deux chiffres ou de faire des erreurs majeures", prévient-elle. Sur l’ensemble de ma carrière, j’ai toujours eu ce sentiment que pour être augmentée ou promue, il fallait montrer qu’on est là physiquement, surtout le soir".
Une prise de conscience naissante
Le présentéisme est difficilement mesurable. "J’ai vu très peu d’évaluations au sein des entreprises. Il existe pourtant un certain nombre de signes, comme les heures supplémentaires, l’incapacité à prendre des jours de récupération, les connexions Internet en dehors des horaires officiels de travail. Il faudrait que les entreprises mettent en place des questionnaires dédiés", assure Thierry Rousseau. Certaines sociétés se sont déjà intéressées à ce problème. C’est une entreprise américaine, General Electric (GE), qui a été la première à mettre en place des mesures contre le présentéisme. En 2007, la filiale française de GE a limité les horaires excessifs dans ses bureaux en interdisant les réunions après 18h30.
Depuis, quelques entreprises lui ont emboité le pas. La SNCF a par exemple signé un accord sur la qualité de vie au travail, intégrant cette question en 2012. A plus petite échelle, Maviflex a choisi de lutter contre le présentéisme en obligeant les salariés à quitter l’entreprise à 18h30 maximum. "Ces mesures sont bénéfiques aux salariés, donc à l’entreprise, qui enregistre une rentabilité bien meilleure", confie Anne-Sophie Panséri, présidente de Maviflex.
Pour faire évoluer les pratiques, Dennis Monneuse appelle les services des ressources humaine (RH) à privilégier une vision de long terme : "en ne prenant pas suffisamment en compte le présentéisme, l’entreprise se confronte à une augmentation du nombre d’arrêts maladie plus longs à moyen et à long terme. Et, au final, elle risque d’augmenter son taux d’absentéisme".
Pour Thierry Rousseau, bien plus que des horaires, c’est tout un système qui doit être repensé : "c’est une question d’organisation collective du travail. Aujourd’hui, on définit des objectifs plutôt que des moyens, ce qui entraîne un sur-engagement des travailleurs".