Publié le 25 février 2014

SOCIAL

Le burn-out menace de plus en plus de cadres dirigeants

Le 22 janvier 2014, le cabinet d'évaluation et de prévention des risques professionnels Technologia a lancé un appel pour la reconnaissance du syndrome d'épuisement professionnel au tableau des maladies professionnelles. L'initiative, soutenue notamment par Force Ouvrière ou CFE-CGC, a déjà recueilli plus de 3 600 signatures. Martine Keryer, Médecin du travail et Secrétaire générale du syndicat CFE-CGC santé au travail, revient sur la nécessité de reconnaître enfin les pathologies psychiques liées au travail.

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Le burn-out en chiffres

La définition même du burn-out ne fait pas consensus. Du coup, l'étendue du phénomène reste difficilement mesurable. C'est pourquoi le cabinet Technologia a choisi de réaliser une étude menée du 30 juillet au 20 août 2013 auprès de 1000 personnes. Résultat : 12,6% des actifs sont en risque élevé de burn-out. Rapporté à la population active française, cela correspond donc à 3,2 millions d'actifs en risque élevé de burn-out. Ce chiffre est à tempérer : ici, le risque élevé se définit par deux phénomènes simultanés : un travail excessif (charge de travail) et le travail compulsif (engagement personnel dans le travail). L'addition de ces deux phénomènes entraîne un sur-engagement dans le travail et donc un risque élevé du burn-out. A noter que 19% des cadres cumulent à la fois une forte charge de travail et un travail compulsif.

Novethic : Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la question du burn-out ?

Martine Keryer : En tant que médecin du travail, ainsi qu'au contact de nos adhérents CFE CGC, je me rends compte que de plus en plus de cadres de proximité et de cadres de direction de haut niveau sont dans des états de santé mentale déficiente. Dans la majorité des cas, les personnes que je vois en état de syndrome dépressif sont en réalité en burn-out. C'est pour cela que notre confédération s'intéresse de très près à cette pathologie qui touche les fonctions d'encadrement, y compris de haut niveau.

Quelle est la différence avec un syndrome dépressif classique ? Comment peut-on définir le burn-out ?

La personne atteinte de burn-out se repère ainsi : elle est extrêmement investie dans son travail, en état de stress chronique et travaille de longues heures. Mais pour parler de burn-out, il faut en plus que son métier engendre beaucoup d'émotions. Celles-ci peuvent être positives (empathie avec les clients, les patients...) ou négatives (travailler contre ses valeurs...). Au bout d'un moment, la personne en surcharge émotionnelle décroche et passe d'une personne hyper investie à personne en burn-out : le travail devient pénible et n'a plus de sens. La personne n'a alors plus confiance en elle, s'isole, se sent frustrée en permanence... Et la cause de cet état, c'est bien le travail, et non des facteurs personnels.

A-t-on une idée précise de l'ampleur de cette pathologie ?

Malheureusement, il existe un déni complet de ces pathologies. Les médecins généralistes commencent à l'identifier mais ne vont pas jusqu'au mot burn-out, ils parlent souvent de dépression. De toute façon, comme le burn-out n'est pas reconnu comme une maladie professionnelle, c'est absolument impossible de comptabiliser ! Technologia a fait une étude récemment (voir encadré), mais, à l'heure actuelle, aucune enquête ne permet de le mesurer. Une chose est certaine : avant, le burn-out concernait surtout les métiers avec une forte empathie avec les autres, c'est-à-dire les métiers des soignants, médico-sociaux, des urgences... Mais aujourd'hui, toutes les professions sont concernées.

Qu'est-ce que la reconnaissance comme maladie professionnelle peut changer concrètement ?

Ce qui est très important pour le salarié, c'est de pouvoir se dire : « Je ne suis pas dépressif mais c'est le travail qui m'a rendu comme ça ». Cela lui permet de se reconstruire, c'est primordial. Par ailleurs, l'arrêt maladie pour burn-out est aujourd'hui pris en charge uniquement par le régime maladie de la sécurité sociale, financé par les salariés. S'il est reconnu en maladie professionnelle, c'est l'employeur qui financera l'arrêt, au même titre qu'un accident de travail. Selon nous, cela permettrait d'une part que le burn-out soit reconnu dans l'entreprise : au lieu d'entendre que « Mr X est déprimé », on entendrait « Mr X est en burn-out ». Et d'autre part, cela permettrait de développer la prévention. C'est fondamental : quand il existe un risque financier, l'employeur fait plus facilement de la prévention. Au-delà de ce risque économique, l'entreprise est tout simplement responsable de la santé physique et mentale de ses salariés. Elle doit donc mettre en place des mesures de prévention pour éviter que les collaborateurs soient atteints d'un burn-out.

Les entreprises ont-elles conscience de ce problème ? Agissent-elles pour prévenir ce risque ?

Les entreprises sont encore dans le déni, comme elles ont été dans le déni du stress pendant très longtemps. Jamais un chef d'entreprise ne dit d'un salarié qu'il est en burn out... Il dira, à la limite, qu'il est « en dépression » ou bien « en arrêt longue durée ». Les entreprises n'ont pas vraiment conscience du phénomène. Pourtant, un cadre en burn-out fait de l'hyperprésentéisme mais il a perdu ses capacités cognitives avec, par exemple, des difficultés de mémorisation, de concentration, de créativité... Il est moins productif, et cela constitue donc une perte d'argent pour l'entreprise. Aujourd'hui, la prévention du burn-out n'est pas encore mise en pratique dans les entreprises. Pour avancer, il faut le médiatiser, le rendre visible, y compris dans les sociétés.

Pourtant, les entreprises se sont emparées du thème de l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. La prévention du burn-out n'entre-t-elle pas dans ce cadre ?

Absolument. D'ailleurs, la CGC-CFE a signé l'accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail car, pour nous, la prévention passe par ce type d'accord. Cela signifie qu'il existe une démarche collective qui vise à regarder vraiment ce qui se passe dans le travail. Cela veut dire aussi que les salariés eux-mêmes se préoccupent de la santé de leurs collègues. Quant aux entreprises, elles vont pouvoir prévenir le burn-out en se servant de cet accord. Est-ce normal que des cadres fassent des journées de travail de 12h ? Est-ce normal de travailler à la maison sur son ordinateur et d'avoir une connexion presque permanente ? Pour être bien dans sa tête et dans sa peau, il faut respecter le trépied 1/3 vie professionnelle, 1/3 vie sociale et 1/3 vie familiale. Les salariés en burn-out travaillent une dizaine d'heures par jour et, de ce fait, rencontrent des difficultés dans leur vie familiale parce qu'ils sont peu chez eux. C'est un cercle vicieux.

Comment comptez-vous obtenir la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle ?

Ce ne sera pas le burn-out qui sera reconnu comme maladie professionnelle car c'est un terme qui n'est ni médicalement, ni scientifiquement reconnu. Ce seront les troubles psychologiques liés au travail. Parmi eux, nous comptons mettre en avant trois pathologies : la dépression d'épuisement, le stress post-traumatique, et l'anxiété généralisée. Au sein du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT), une commission travaille sur le sujet et a émis un rapport d'experts. Actuellement la situation est bloquée. Mais, avec les partenaires sociaux, nous travaillons sur ce problème. Le patronat, lui, avance plus doucement. C'est normal car cette reconnaissance signifie un coût supplémentaire. Mais j'ai bon espoir ! En étant optimiste, je dirais que ça bougera d'ici un an.

Propos recueillis par Céline Oziel
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