Publié le 28 septembre 2023
6 ans après l'explosion du mouvement #MeToo et un an après une loi qui protège les lanceurs d'alerte en entreprise, prendre la parole pour des faits de harcèlement sexuel reste un parcours du combattant. Le tabou domine dans l'écrasante majorité des cas et la justice n'en voit qu'une infime partie.

Une peluche géante en forme de pénis trônant dans l’open space, une image de femme mimant une fellation en fond d’écran d’un outil de travail, des blagues à connotation sexuelle à répétition… C’était le quotidien d’une développeuse -qui préfère rester anonyme- pendant plus d’un an. Son employeur a été condamné le 1er septembre 2023 pour harcèlement sexuel et manquement à ses obligations de prévention et de sécurité. 
Cet exemple reflète la difficulté d’alerter sur des situations de harcèlement sexuel dans le monde du travail. Les témoignages accumulés par les comptes Instagram "Balance Ton Agency" et "Balance ta start-up", qui dénoncent des violences au travail, et ceux du mouvement #MeToo depuis 2017 pourraient suggérer qu’il est devenu plus facile de prendre la parole sur le sujet. Pourtant, le silence reste la norme en entreprise. "Le plus souvent, les victimes dénoncent les faits quand elles sont prêtes à quitter l’entreprise", témoigne auprès de Novethic l’avocate Corinne Metzger spécialisée dans le droit du travail.
Manque d’interlocuteur, peur de voir sa situation professionnelle se dégrader… Les raisons évoquées sont nombreuses. Alors que 60% des salariés interrogés par le cabinet de conseil Ekilibre en 2022, ont été exposés à un agissement à connotation sexiste ou sexuelle au cours de l’année, à peine une victime sur cinq a reçu un soutien de la part des ressources humaines.
Les chiffres sont d’autant plus graves dans le monde scientifique où les femmes restent minoritaires et les postes en université difficiles à briguer. Une chercheuse sur deux a été victime de harcèlement sexuel dans sa carrière d’après un sondage publié par l’institut IPSOS en mars 2023. Or seule une femme sur cinq en a parlé au sein de son institution, et une sur deux à ses proches.
Depuis septembre 2022, la loi Waserman apporte un moyen d’expression supplémentaire. Elle renforce la protection des lanceurs d’alerte en entreprise et peut être utilisée pour des faits de harcèlement moral ou sexuel. Toutes les entreprises de plus de 50 salariés doivent mettre à disposition un canal de signalement anonyme comme l’outil Whispli, un formulaire en ligne sécurisé. "Les industries bancaires et pharmaceutiques ont déjà des services d’enquête internes. Avec la loi Waserman, de nombreuses entreprises s’équipent pour la première fois ", explique Whispli.
Chez Décathlon, le nombre de signalement a augmenté après sa mise en place. Sur 156 signalements, 10% concernaient des cas de harcèlement sexuel et 19% des cas de harcèlement moral, indique le rapport extra-financier 2022. "La charge de la preuve est inversée, explique la chercheuse Frédérique Chopin, spécialisée en droit privé. Les signalements ont plus de chance d’être traités et les garanties apportées par la loi ont plus d’efficacité puisqu’elles sont contrôlées par les autorités externes destinataires des signalements".
Toutefois, la protection en tant que "lanceur d’alerte" reste peu demandée pour les faits de harcèlement moral. L’anonymat n’y est que relatif puisque la personne porte plainte pour des faits qu’elle subit. "Il reste très difficile pour un salarié harcelé d’entrer en conflit direct avec son entreprise", explique Corinne Metzger.
Fanny Breuneval

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