Publié le 11 octobre 2021
SOCIAL
Olivia Grégoire : "Le devoir de vigilance européen, c’est le sens de l’histoire économique"
Alors que l'Union européenne doit adopter une directive sur le devoir de vigilance des multinationales, la ministre en charge de l'Économie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire, défend la position de la France, premier pays à avoir légiféré en la matière. Si les lobbys pèsent, la France se dit prête à défendre un texte ambitieux, pour, selon la Ministre, rendre plus responsable le capitalisme européen.

@Bercy
Une directive européenne sur le devoir de vigilance est en préparation à Bruxelles, quelle est la position de la France, pionnière en la matière ?
Sur ce sujet, la France a légiféré en 2017 et a pris une avance incontestable. Elle n’a pas de leçon à donner mais une expérience qui est intéressante à partager avec ses homologues européens. Il s’agit d’impulser, d’être force de proposition, de partager nos fondamentaux. Le devoir de vigilance est un des piliers de la promotion d’un capitalisme plus responsable. C’est un texte qui a vocation à mettre en cohérence nos importations avec les valeurs humaines, sociales, environnementales qui caractérisent l’Europe.
Tout l’enjeu pour la France est de promouvoir le devoir de vigilance au niveau européen de manière ferme, mais aussi de tirer les conséquences de l’application en droit français. Au niveau européen, je promeus l’idée d’une agence ou d’une autorité médiatrice européenne qui pourrait aider les entreprises à se mettre en règle, et d’attester de leur bonne foi. L’idée n’est pas qu’il y ait un couperet qui tombe si un fournisseur ne respectait pas les principes fondamentaux des droits humains, mais qu’il y ait une sorte de sommation à l’entreprise assortie d’un accompagnement pour se mettre en règle. Cela lui laisserait le temps de rétablir une position plus responsable dans un temps imparti, avant condamnation ou sanction.
On sait que les pressions sont fortes, qu’un lobbying intense est exercé. Pourra-t-on aboutir à un texte aussi ambitieux que le désire la France ?
Effectivement, les lobbys pèsent, comme sur tous les sujets. La première étape est d’avoir, a minima, un texte, un socle. Il faut tenir compte des équilibres en place et de la culture économique propre à chaque État membre. Il y a des États très allants, des États plus réfractaires, chacun défendant ses positions avec pertinence. Il y a l’enjeu, comme souvent en Europe, de préférer un texte qui aboutisse rapidement plutôt qu’un texte qui serait extrêmement détaillé et trop ambitieux qui mettrait des années à aboutir. Certes, ce sont des textes engageants pour les entreprises. Mais, il ne s’agit rien de moins que d'adopter des textes qui caractérisent la pratique responsable du capitalisme européen. Et je pense que dans le jeu économique mondial, le fait de se doter de ces textes peut être extrêmement utile à l’endroit de la compétitivité et de l’attractivité des États membres en comparaison de certaines pratiques capitalistiques plus irresponsables.
Soit l’Europe, s’appuyant sur un texte, encourage les entreprises européennes à se doter de moyens pour éviter les pratiques incohérentes avec le respect des droits fondamentaux, soit on ne légifère pas, et on met les entreprises en situation d’insécurité face à des jurisprudences qui peuvent mettre des années à se stabiliser. Ce n’est pas une idée d’hurluberlu qui descend du ciel pour se dire "tiens et si on enquiquinait encore les entreprises". C’est le sens de l’histoire économique. Et de plus en plus d’individus, de consommateurs, d’épargnants, d’actions de groupe, de lanceurs d’alerte s’attaquent à des entreprises mondiales, et gagnent ! Le devoir de vigilance n’est pas une obligation de plus, c’est une protection de plus.
L’Allemagne est en train de se doter d’un devoir de vigilance avec une vision différente de celle de la France. Y aura-t-il une confrontation entre ces deux puissances ?
L’adoption d’un devoir de vigilance par l’Allemagne, c’est d’abord et avant tout un soutien. Le fait que l’Allemagne se saisisse de ce sujet est un formidable signal. Sur les seuils de salariés et sur la chaîne de valeur, nous avons des visions différentes mais sur le fond du sujet, il y a convergence.
Ce sont des sujets très importants sur lesquels nous portons une ambition : nous souhaitons éviter que la directive européenne ne donne ni d’indications du seuil d’entreprises concernées, ni qu’il soit trop bas, ni le nombre de rang de fournisseurs, car cela rendrait la norme inopérante. Ce sont deux points sur lesquels nous serons très vigilants.
Propos recueillis par Marina Fabre, @fabre_marina