Publié le 06 août 2020

SOCIAL

Corruption, défaillance, négligence... La colère sociale au Liban s’amplifie après l’accident chimique à Beyrouth

Le Liban, État en faillite et en pleine explosion sociale, va avoir beaucoup de mal à se relever de l’accident chimique qui s’est produit le 4 août dans le port de Beyrouth. Le gouvernement promet que les coupables paieront. Mais pour la population, c’est tout un système corrompu et défaillant qui est mis en cause par la catastrophe qui a provoqué 137 morts, 5 000 blessés et 300 000 sans-abris.

Explosion liban port conteneur a ble STR AFP
Depuis deux ans, la population libanaise manifeste contre l'effondrement économique et sociale du pays.
@PatrickBaz

Après la cataclysmique explosion d’un entrepôt chimique à Beyrouth mardi 4 août, le gouvernement a assuré que les responsables devront répondre de leur action. "Il est inadmissible qu'une cargaison de nitrate d'ammonium, estimée à 2 750 tonnes, soit présente depuis six ans dans un entrepôt, sans mesures de précaution. C'est inacceptable et nous ne pouvons pas nous taire", a dit le Premier ministre Hassan Diab.

Mais, pour une grande partie de la population, c’est le gouvernement lui-même qui est responsable de la situation. L’entreposage de 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium, produit dangereux à l'origine de l'explosion illustrerait la défaillance de l’État, voire sa corruption. "Il y a une culture ancrée de négligence, de corruption dans la bureaucratie libanaise où tout le monde se rejette la faute, tout cela supervisé par une classe politique qui se distingue par son incompétence et son mépris pour le bien public", estime Faysal Itani, directeur adjoint au Center for Global Policy. D'autant que le directeur des douanes du Liban, Badri Daher, estime que le drame aurait pu être évité. Il affirme, dans l'Orient du jour, avoir alerté la justice à six reprises de la dangerosité du stockage du nitrate d'ammonium. 

L’entreposage illégal pendant six années de ces produits n’est que l’une des facettes d’une crise économique et sociale globale. Le pays a vu la moitié de sa population basculer dans la pauvreté en deux ans, sa monnaie s’est effondrée de 80 % ces douze derniers mois, les services de l’eau ou de l’électricité ne sont accessibles que quelques heures par jour, les transports publics et le ramassage des ordures ne sont que peu ou pas assurés. Une situation intenable pour la population qui depuis deux ans manifeste parfois violemment.

Pendez-les

Aussi, après l’accident sur le port de Beyrouth, sur les réseaux sociaux, de nombreux citoyens libanais ont appelé au départ de l'ensemble des dirigeants du pays, tenus responsables de cette tragédie. D’autres poussent le hashtag "Pendez-les". "Partez tous ! (...) Vous êtes corrompus, négligents, destructeurs, immoraux. Vous êtes des lâches. C'est votre lâcheté et votre négligence qui ont tué les gens", a lancé un journaliste libanais connu, Marcel Ghanem, dont l'émission télévisée jouit d'une grande audience. "Cette tragédie est une preuve de plus de l'incompétence de la classe politique qui a gouverné le Liban depuis plusieurs décennies", s'est indigné Antoine Fleyfel, philosophe et théologien franco-libanais, vivant en France.

Emmanuel Macron, qui s'est rendu au Liban le jeudi 6 août, a lui aussi appelé à changer la donne au Pays du Cèdre. Le Président français assure qu'il va demander aux responsables "de procéder à des réformes, de changer le système, d’arrêter la division du Liban, de lutter contre la corruption". Il ajoute : "Si ces réformes ne sont pas faites, le Liban continuera de s'enfoncer".

Le problème est que le pays ne va pas être en mesure à court terme de rétablir la situation. Au contraire, la crise sociale et économique va encore s’aggraver. Le gouverneur de Beyrouth a estimé les dommages à plus de trois milliards de dollars. Et désormais l'Agence de l'ONU pour l'agriculture et l'alimentation, la FAO, a dit craindre à brève échéance un problème de disponibilité de farine pour le Liban, des silos de céréales installés près du port ayant été éventrés.

Ludovic Dupin avec AFP


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