Publié le 19 novembre 2018
SOCIAL
[Décryptage] Gilets jaunes : les rêves brisés de la France des ronds-points
Samedi 17 novembre, 282 000 gilets jaunes se sont réunis à travers la France pour protester contre la hausse des taxes sur les carburants et plus généralement sur la baisse de leur pouvoir d’achat. À travers ce mouvement, c’est en réalité un modèle d’aménagement périurbain qui est dénoncé car il n’est aujourd’hui plus tenable.

@LaurentFerriere/HansLucas/AFP
Avec les gilets jaunes vient de naître un nouveau type de manifestations dont le mot d’ordre, surligné en jaune fluo, est la colère sur fond de trahison dont s’estiment victimes les habitants des zones dites "périurbaines". Cette terminologie sociologique recouvre une partie de la population française qui a voulu protester contre le prix de l’essence en utilisant ce qui fait son quotidien : les routes et les ronds-points !
Dans ces zones "mi-ville, mi-campagne", les lotissements ont fleuri depuis les années 80 amenant leur kyrielle de ZAC et de ZAD. Ils étaient supposés offrir à leurs habitants tous les rêves de "confort moderne" avec ses supermarchés pour s’alimenter et s’habiller, ses bureaux fonctionnels dans ces constructions précaires sur deux étages. Le tout accessible par un et seul unique moyen de transport : la voiture, gage de liberté de mouvement. Ce rêve implicite est en train de se briser sur une réalité : l’insoutenabilité économique du modèle !
Les maisons sont la plupart du temps achetées à crédit. L’endettement des Français ne cesse d’augmenter. L’encours des crédits immobiliers représentait 63 % des revenus disponibles en 2015 contre seulement 34 % en 2001. Le taux d’endettement des ménages français est passé, selon la Banque de France, de 88,8 % de leurs revenus en juin 2016 à 93,9 % en juin 2018. À titre indicatif, il est de 131 % aux États-Unis. Le volume de crédits immobiliers atteint aujourd’hui 1 131 milliards d’euros sur un volume global de crédits au ménage de 2 040 milliards d’euros : plus de la moitié !
Aménagement du territoire
Or l’équilibre budgétaire des Français aux revenus modestes qui veulent réaliser leurs rêves de possession d’une maison individuelle est très précaire et l’augmentation du prix de l’essence le fragilise plus encore. C’est encore pire pour les maisons construites en zones inondables dont la valeur marchande diminue à chaque inondation et finit par s’évaporer avant la fin du crédit pris pour l’acheter !
Que faire ? Repenser l’aménagement du territoire en s’attaquant de front à la question des mobilités. Le gouvernement doit examiner, le 21 novembre, un projet de loi sur le sujet. Il a été interpellé par 23 ONG dont le WWF et Greenpeace dans une tribune publiée le 12 novembre dernier. Elles lui demandent d’adopter une politique de transports socialement juste et cohérente avec l’urgence climatique précisant : "Il faut libérer notre pays de son addiction au pétrole en raison d'une politique des transports axée depuis des décennies sur le recours à la voiture et un aménagement du territoire qui a allongé les distances à parcourir."
Et on en revient aux ronds-points construits avec l’argent des contribuables. On en compte entre 40 000 et 50 000 sur tout le territoire ! Ils ont façonné cette France péri urbaine qui s’exprime aujourd’hui. Or cette dernière mérite pourtant d’autres modèles urbains que ceux qui consistent à faire tourner en rond des automobilistes en gilets jaunes.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic