Publié le 24 octobre 2022
SOCIAL
L’Occitane : derrière les accusations de travail d’enfants, les dessous complexes de la filière huile de palme
Sous les feux des projecteurs depuis la diffusion d’une émission de Cash Investigation, L’Occitane est accusée de travailler avec des fournisseurs exploitant les enfants. Le groupe regrette que le documentaire ne rende pas compte de la complexité de la filière huile de palme, et des efforts qui y sont menés.

@ MARION RUSZNIEWSKI / AFP
Dans une émission titrée "Entreprises, mécénat, associations : les liaisons dangereuses", Cash Investigation dévoile les dessous de certaines plantations d’huile de palme indonésiennes et malaisiennes. En caméra cachée, on découvre que le travail des enfants y est fréquent. Mais ce n’est pas tout : les équipes laissent à penser que le groupe L’Occitane, régulièrement salué pour ses engagements sociaux et environnementaux, se fournirait auprès de ces plantations par le biais d'intermédiaires.
L’Unicef France partenaire de l’Occitane : une liaison dangereuse ?
La marque utiliserait de l’huile de palme produite par des sous-traitants ayant recours au travail d’enfants.
La nouvelle enquête #CashInvestigation présentée par @eliselucet, c'est ce soir à 21h10 sur France 2 pic.twitter.com/qV5UbA5ynB— CASH INVESTIGATION (@cashinvestigati) October 20, 2022
Engagements et certifications
Comment expliquer que L’Occitane, engagée au sein de la Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO), de l’Action for Sustainable Derivatives (ASD) et la Responsable Beauty Initiative (RBI), soit associée à des palmeraies et des moulins exploitant des enfants ?
Emmanuel Gagnier, rédacteur en chef de Cash Investigation, rappelle que les labels ne sont pas des garanties. "À titre d'exemple, l'entreprise Sime Darby citée dans le reportage, produit de l'huile de palme qui est interdite d'entrée aux États-Unis." En cause ? Des accusations de travail forcé.
Interrogées par Novethic, les équipes de L'Occitane avancent plusieurs pistes d’explication. "Il y a un réel enjeu de transparence de la filière, compte tenu des multiples intermédiaires", expliquent-elles, admettant la nécessité de faire des efforts de traçabilité et de compréhension des pratiques. "Nous ne nous fournissons pas directement, ni intentionnellement, auprès de ces moulins. Le groupe agit individuellement et collectivement pour faire progresser cette filière opaque. C'est pour cela que la liste des moulins avec lesquels nos fournisseurs sont potentiellement connectés a pu être établie, et que nous l'avons transmise aux journalistes."
Emmanuel Gagnier précise néanmoins que cette liste n'a pas été transmise directement aux journalistes de Cash Investigation, et qu'elle a été obtenue par un autre biais. L’Occitane insiste : si cette liste existe, c’est que l’entreprise "fait l’effort de connaître les liens entre les fournisseurs et les moulins", soulignant l’importance du sourcing dans ses protocoles de sélection.
Combler les failles de la filière
Le groupe rappelle que, chaque année, ce sont 73 millions de tonnes d’huile de palme qui sont produites à travers le monde. 80% de cette production est dédiée à l’alimentation, et 10% au secteur cosmétique. La part de L’Occitane gravite autour de 0,003%. "Dans les produits cosmétiques, l’huile de palme est historiquement utilisée dans les savons et, en dérivés, dans les shampoings. Nous avons réussi à la retirer de nos savons. Là où nous sommes toujours obligés d’en utiliser, nous avons choisi des certifications respectueuses de l'environnement et des droits humains."
En ce qui concerne les dérivés, ils sont issus de chaînes complexes, qui permettent d’aboutir à des produits techniques. "Nous souhaitons promouvoir une filière huile de palme responsable, notamment via la RSPO. Notre participation au système 'mass balance' est un pas vers cette transition. Cela fonctionne un peu sur le même principe que les fournisseurs d’électricité verte. Nous achetons une certaine quantité d’huile de palme auprès d’un fournisseur qui s'engage, de son côté, à acheter auprès des acteurs de terrain la même quantité d’huile de palme certifiée RSPO. Mais c’est lui qui la redistribue ensuite à ses clients comme il l’entend, nous n’avons pas la main sur la répartition."
Par ailleurs, après les révélations de Cash Investigation, les équipes s’engagent à mener des enquêtes de terrain, concertées avec les organisations compétentes. Emmanuel Gagnier regrette que ces informations sur le système mass balance n'aient pas été transmises aux journalistes, malgré des demandes à ce sujet.
De son côté, le groupe insiste sur l’importance du collectif. La filière a été construite historiquement sur des bases sociales et environnementales parfois délétères. "Or pour la faire évoluer, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton. C’est une transition qui demande du temps", rapportent les équipes de L’Occitane, qui choisissent de s’unir à d’autres acteurs, notamment de la cosmétique au sein de l'ASD, pour faire avancer les choses. "Nous pouvons faire notre part, mais il faut que tout le monde joue le jeu pour espérer une transparence globale de la chaîne d’approvisionnement."
Le risque : déplacer le problème plutôt que de trouver une solution
Les équipes de L’Occitane reprochent aussi au reportage, d’associer l’Unicef à l’exploitation des enfants. Les savons solidaires, présentés dans l’émission, qui permettent de financer les programmes de lutte contre la cécité des enfants de l’ONG, ne contiennent plus d’huile de palme depuis 2019. L’huile de palme utilisée précédemment provenait à 100% de moulins certifiés par la RSPO, qui garantit le respect des droits humains et proscrit le travail des enfants. "Les associations apportent des solutions, se déplacent sur le terrain pour régler les problèmes qu’elles adressent. De telles images ne risquent-elles pas de décourager les entreprises de s’engager auprès des ONG ?", s’inquiètent les équipes de L’Occitane.
Autre risque : "déporter" les problèmes révélés à d’autres filières. "Le souci de l’huile de palme aujourd’hui, c’est sa surconsommation. Mais s’en détourner pour aller vers d’autres sources de corps gras sans chercher à résoudre les problèmes existants, c’est risquer de répliquer les conséquences", explique L'Occitane. Pour rappel, l’huile de palme a un excellent rendement à l'hectare (environ 4,2 tonnes par hectare). La remplacer par une autre substance pourrait demander beaucoup plus d’espace cultivable, sans garantir de meilleurs droits humains.
L’Occitane jugerait même "irresponsable" de se désengager de la transformation de la filière. "Elle fait vivre 4,5 millions de personnes. Il existe des cultures de palme durables. Ce que nous proposons, dans un système contraint, c’est de résoudre ces sujets frontalement pour changer le terrain. Il faut que les entreprises établissent des cahiers des charges très spécifiques auprès de leurs fournisseurs, qu’elles adoptent des certifications, qu’elles agissent dans un objectif commun."
Mélanie Roosen @melanie_rsn