Publié le 05 janvier 2015
SOCIAL
Congés illimités, une fausse bonne idée ?
Prendre autant de jours de congé que l’on veut, quand on veut. Ce rêve est devenu réalité dans plusieurs firmes anglo-saxonnes. Pourtant, derrière une apparence flatteuse, le système cache sa part de perversité. Présenté comme une avancée sociale, il constitue surtout un outil de performance pour les entreprises, qui voient la productivité de leurs employés augmenter. Déjà, le modèle fait officieusement ses premiers pas en France.

© iStock
Les congés illimités se taillent un franc succès outre-Atlantique. Là-bas, près de 1% des entreprises ont déjà mis en place un tel système. Cette nouvelle organisation du travail fait même des émules ailleurs, comme le montre la récente annonce du PDG de Virgin, Richard Branson. Sur son blog, il explique: "C’est à l’employé de choisir le moment et de décider de prendre quelques heures, une journée, une semaine ou un mois, du moment qu’il est certain à 100% que lui et son équipe sont à jour sur chaque projet, et que leur absence ne nuira ni au business de l’entreprise ni à sa carrière."
Risque d’appauvrissement de l’activité
Qu’elles se nomment Netflix, IBM, Tumblr ou Foursquare, ces entreprises avancent toutes le même argument pour expliquer ce choix: favoriser un meilleur équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Sauf que, en pratique, le lien de cause et effet n’est pas évident. "Sur les congés illimités, on optimise un critère, celui de la vitesse d’exécution", explique Pascale Levet, directrice technique et scientifique de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail).
Autrement dit, ce système amène les salariés à augmenter leur productivité pour réussir à mener à bien leurs projets le plus rapidement possible, condition sine qua non pour pouvoir puiser dans le flot illimité de jours de congé. Pascale Levet va plus loin: "Avant, le seul système productif où il fallait aller vite, c’était le travail à la pièce ! Là, l’objectif est le même, même si l’initiative semble très moderne ! Mais l’idéal du salarié qui maximise son temps de vacances grâce à une plus grande vitesse d’exécution est une illusion : ce n’est bon ni pour lui, ni pour le collectif, qui a besoin de temps pour donner le meilleur ! Le risque alors, c’est l’appauvrissement de l’activité."
Bousculer près d’un siècle de luttes sociales
En France, la mise en place de congés illimités est impossible puisque le nombre de jours de vacances est fixé par la loi. Il n’empêche que certaines initiatives officieuses ont déjà vu le jour dans l’Hexagone. La preuve avec la start-up Evercontact, qui s’est elle aussi inspirée du modèle Netflix.
Dans un reportage diffusé en juillet 2013 sur BFM, le fondateur de l’entreprise, Philippe Laval, expliquait: "Chaque employé peut prendre autant de vacances qu’il veut (…) On part quand on veut dans la limite du travail à faire. Comptablement, pour gérer ça, on enlève 2 jours et demi par mois à chaque employé quoi qu’il se passe." Ce système est surtout profitable à l’entreprise puisque, comme le note une salariée dans ce même sujet, "j’en prends moins (des congés NDLR) que si j’étais dans une boîte normale". Dans une interview accordée récemment à La Tribune, Philippe Laval a reconnu les limites du système: "La structure de mon entreprise est particulièrement favorable à ce modèle. Nous sommes une dizaine. Tous les employés sont des cadres autonomes, rémunérés selon le régime du forfait jour, et les profils individuels composant nos équipes sont variés: si, par exemple, nous n’employions que des parents, des difficultés lors des vacances scolaires seraient inévitables."
Malgré les risques, l’Anact ne voit pas que des inconvénients à l’émergence des "congés illimités". Pour Pascale Levet, ils sont le signe d’une évolution vers un nouvel équilibre des temps de vie: "Cela prouve que les entreprises cherchent des alternatives à un modèle arrivé à bout de souffle. J’aime l’idée de mettre un pavé dans la marre. Et ce modèle présage de vraies innovations sociales qui tiennent compte de l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle."