Publié le 15 février 2022
POLITIQUE
La politique se fait dans les salles obscures, hors de la campagne présidentielle
Chronique d’une abstention annoncée dans les commentaires politiques depuis quelques jours. Leur message : aucun thème ne prend, cette élection n’intéresse pas les Français et ils concluent avec une nouvelle dose de sondage. Pas l’ombre d’un doute sur le fait que cette campagne médiatique ne parle pas de politique qui consiste à choisir, par le vote, le mode de société désiré mais d’une course de chevaux où on parie sur la victoire de l’un ou l’autre. Les grands débats se font ailleurs, au cinéma.

Bousculer les lois du marché avec "Un autre Monde"
L’acteur Vincent Lindon retrouve le réalisateur Stephane Brizé pour l’épisode 3 de leur description au scalpel du monde du travail dans ce qu’il a de plus brutal, sa capacité à éjecter et broyer toutes sortes d’humains. Dans "Un autre monde", Vincent Lindon campe le cadre supérieur qui pilote un plan social après avoir incarné le chômeur précaire dans "La Loi du Marché" et le syndicaliste qui s’épuisait contre un autre plan social dans "En Guerre". Le film montre le dilemme d’un homme pour qui l’idée qu’"il faut en sacrifier 58 pour en sauver 500" perd petit à petit tout son sens. Il montre comment cette injonction qui répond à celle des marchés financiers au moment de la publication des résultats de l’entreprise, fait tout exploser, y compris sa famille.
En pleine affaire Orpéa, la puissance politique du film repose sur sa capacité à interroger les absurdités d’un système qui perd de vue les rouages humains qui le composent. Lors du passage de Vincent Lindon sur France Inter, une auditrice a appelé pour témoigner que, dans la vraie vie, son mari qui avait été confronté à la même situation chez un opérateur téléphonique s’était suicidé.
En 2019, la justice avait reconnu l’existence d’un harcèlement institutionnel au sein de France Telecom. L’espace d’un film passe le message qu’il ne faut pas seulement rêver d’un autre monde mais commencer à le construire.
Défendre la liberté de la presse, fondement de la démocratie, avec Media Crash
Le titre du documentaire co-réalisé par les journalistes de Mediapart et ceux de Première Ligne, résume les données du problème : "Media Crash : qui a tué le débat public ?". Ils décrivent la situation des médias privés français dont neuf milliardaires détiennent 90 %. Leur objectif est de montrer que "quelques industriels milliardaires, propriétaires de télévisions, radios, journaux utilisent leurs médias pour défendre leurs intérêts privés au détriment de l'information d’intérêt public."
Sorti seulement dans une cinquantaine de salles partout en France et systématiquement accompagné d’un débat, Media Crash espère redonner de la force au débat politique. Pour ses auteurs, c’est indispensable parce qu’"en cachant ce qui est essentiel, en grossissant ce qui est accessoire, ces médias façonnent, orientent, hystérisent pour certains le débat et que les grands perdants sont les citoyens."
Se battre contre le lobby des pesticides avec Goliath
"Je veux croire qu’il y a un autre monde possible, plus honnête et plus humain" plaide Emmanuelle Bercot, l’héroïne de Goliath devant le tribunal où sont jugés les producteurs d’un herbicide très dangereux pour mise en danger de la vie d’autrui. Le film, "inspiré de faits réels" qui sort le 9 mars, décrit le combat judiciaire d’une poignée d’agriculteurs contre un producteur de pesticides accusé de ravages sur la santé de ceux qui l’utilisent.
Gilles Lellouche interprète leur avocat courageux. Il pose face à la presse cette question, éminemment politique : "Est-ce que les bourreaux gagnent toujours face à leurs victimes ?". Elle résume le combat de ceux qui s’opposent aux "semeurs de doute", ces multinationales qui utilisent la puissance de leur lobbying pour convaincre de l’innocuité de leur activité.
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic