Alors que le port de Duqm, au sud du Sultanat d’Oman, s’apprête à sortir de terre sous la supervision du port français de Lorient (Morbihan), ce partenariat ne semble pas faire l’unanimité du côté des pêcheurs bretons et des élus écologistes en cette fin d’année. Le projet n’est pourtant pas récent. En 2021, la société d’économie mixte (SEM) Ker’Oman, détenue à 60% par Lorient Agglomération et à 4% par la ville de Lorient, a remporté un appel d’offres pour concevoir et gérer pendant près de 30 ans un vaste ensemble portuaire de 250 hectares en mer d’Arabie.
Mais ce qui a mis le feu aux poudres, c’est l’idée émise en novembre dernier par le président de Ker’Oman Maurice Benoish d’approvisionner en produits de la mer les étals de Lorient depuis Oman, via des avions-cargos. Et ce, au grand dam des pêcheurs bretons, dont la filière est déjà mise à mal par les crises successives (fin des aides d’État sur le gasoil, baisse des quotas de pêche, …).
Exporter le savoir-faire de la pêche française à l’étranger
Pour le président de Ker’Oman, cette controverse n’a pas lieu d’être. "Cette polémique, c’est quand même dommage, car c’est la première fois qu’un port français s’exporte de cette manière-là", regrette Maurice Benoish auprès de l’AFP, tout en précisant qu’il s’agissait d’"un éventuel financeur qui voulait faire une ligne aérienne pour importer du poisson à Lorient" et qu’en aucun cas l’importation de poisson n’était l’objet de ce partenariat avec le sultanat.
Alors pour couper court à toutes critiques, Maurice Benoish rappelle que le but de cette alliance est avant tout d’"apporter notre savoir-faire portuaire". À savoir : la construction et réparation navale, vente de matériel de pêche ou encore formation. "Après, si les mareyeurs le veulent, ils auront un accès à Oman qu’ils n’avaient jamais eu jusqu’à présent. Et l’avion, c’est un transport normal pour du poisson aujourd’hui", estime-t-il. D’ailleurs, le port de Lorient importe déjà de grandes quantités de poissons pour ses mareyeurs et usines de transformation. Chaque année, entre 80 000 et 100 000 tonnes de produits de la mer y sont traitées, pour seulement 18 109 tonnes débarquées par les pêcheurs en 2022.
Un poisson au bilan carbone 10 fois supérieur
Même son de cloche pour le vice-président de Lorient Agglomération, Pascal Le Liboux, qui souhaite voir dans ce partenariat "une opportunité très importante pour valoriser les compétences du pays de Lorient dans le domaine de la mer", tout en investissant "de manière massive dans la modernisation du port pour assurer un avenir à la pêche bretonne". "Qu’est-ce qu’on fera dans 15 ou 20 ans? Je n’en sais rien", reconnaît l’élu morbihannais, car personne n’est capable de prévoir "comment évoluera la ressource".
Or c’est un sacré revers pour les pêcheurs locaux, qui sont vent debout contre ce projet. "C’est un non-sens de faire importer du poisson qui vient du Golfe persique. Du grand n’importe quoi !", dénonce l’un d’entre eux, David Le Quintrec. "On sacrifie les pêcheurs lorientais en allant créer une structure qui va les concurrencer. La question, c’est : est-ce que l’on veut encore un port de pêche à Lorient ?", s’interroge aussi le chef de file de la gauche à Lorient, Damien Girard.
Quant aux élus écologistes, ils estiment que le transport par avion-cargo alourdirait de "10 fois l’empreinte carbone du poisson". Ils réclament aujourd’hui le désengagement de Lorient Agglomération et du port de Lorient dans ce projet avec Oman, "symbole d’un développement économique climaticide".
Blandine Garot avec AFP