Publié le 21 avril 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Le scandale des pizzas Buitoni passé sous silence à l’AG de Nestlé
La contamination des pizzas Fraich’Up Buitoni, qui a conduit à la mort de deux enfants et rendu malades 55 autres , s’est soldée par un accord à l’amiable annoncé le 17 avril entre Nestlé et les familles de victimes. Trois jours plus tard, à l’Assemblée générale du groupe, le montant des indemnités versées a été passé sous silence.

FRANCOIS LO PRESTI / AFP
Le 30 mars, l’usine de Caudry dans le nord de la France, qui fabriquait les pizzas Fraich’Up commercialisées par Buitoni, fermait définitivement. Elle était à l’arrêt depuis les révélations du scandale sanitaire des lots contaminés par la bactérie Escherichia coli qui avaient tué deux enfants et rendu gravement malades 55 autres. Quelques jours plus tard, Nestlé France concluait un accord à l’amiable avec les familles de victimes dont le montant est inconnu. Cela met fin aux demandes d’indemnisation devant des tribunaux civils qui auraient pu s’élever à plusieurs millions d’euros.
En revanche, les poursuites au pénal pour homicides et blessures involontaires pour lesquelles à ce stade Nestlé n’est pas mis en examen, continuent. Le communiqué du groupe sur l’accord conclu est laconique. "Chacune des personnes concernées recevra de la part de Nestlé France une proposition indemnitaire, qui fera suite à une évaluation médicale et qui tiendra compte, de manière équitable, de la gravité des préjudices et de chaque situation".
Un risque de réputation
Pour obtenir plus de détails sur les montants versés mais aussi sur les menaces qui perdurent, la fondation Ethos, spécialiste suisse de l’engagement actionnarial, avait appelé à refuser de soutenir la résolution qui dédouane de ses responsabilités le conseil d’administration du groupe Nestlé lors de l’assemblée générale qui s’est tenue à Lausanne le 20 avril.
Pour la fondation Ethos, le manque de précisions du groupe alimentaire sur les risques financiers et de réputation que ce scandale sanitaire fait planer, est un problème pour ses actionnaires. On ne trouve pas dans les documents publics de provisions dans les comptes pour cette affaire, pas d’allusion non plus à l’influence qu’elle aurait eu sur le choix de faire de la sécurité alimentaire une priorité pour le groupe. Celui-ci refuse même d’établir un lien avec la fermeture de l’usine incriminée.
La fondation Ethos a obtenu le soutien de 6% des actionnaires sur ces points. "J’ai été étonné de la faible contestation des actionnaires au vote sur le quitus du conseil d’administration compte tenu du peu de transparence concernant le scandale Buitoni", explique Vincent Kaufmann, son directeur. "En termes de risque de réputation pour Nestlé c'est un problème sérieux mais le groupe semble considérer que tout cela est cantonné à la France et que l’affaire est close".
Réduire la part des produits les plus gras et sucrés
Le groupe Nestlé, premier groupe alimentaire mondial dont les pizzas Fraich’Up représentent une micro- activité, a choisi de mettre l’accent sur ses engagements nutritionnels. C’est un sujet devenu sensible pour les actionnaires qui s’inquiètent à terme d’une éventuelle mise en responsabilité du secteur agro-alimentaire dans l’augmentation spectaculaire de l’obésité et des diabètes de type 2 en train de devenir une "épidémie mondiale" selon l’OMS.
Nestlé qui soutient activement le Nutriscore, a publié une notation intégrale de ses produits alimentaires conformes à ce standard international. Il est le premier à le faire, Unilever, son principal concurrent, ayant développé un système de notation nutritionnel interne. "Nous saluons ce très gros effort d'information" déclare Vincent Kaufmann "mais il reste que Nestlé doit se fixer des objectifs de réduction de la part des produits les plus mal notés, en sachant qu’ils ne vont pas arrêter le chocolat par exemple." Les spécialistes des risques environnementaux et sociaux (ESG) pesant sur les entreprises suivent de près les impacts de l’offre agro-alimentaire sur la santé publique.
ShareAction, l’équivalent britannique de la fondation Ethos, mène une campagne spécifique auprès des acteurs du secteur rappelant le coût que l’obésité fait peser sur le système de santé de son pays : 30,6 milliards d’euros par an ! L’organisation fait de l’engagement actionnarial auprès de Nestlé à qui elle demande aussi de fixer des objectifs quantitatifs de réduction de la part des produits les plus gras et sucrés dans ses ventes. Pour l’instant, le groupe s’engage à avoir "des produits plus sains et toujours savoureux", mise sur l’éducation à la diététique et la réduction de la teneur en sel et en sucre de ses produits.
Affaire Buitoni et changement climatique : un manque de transparence
Aux yeux des actionnaires engagés, Nestlé reste un groupe adepte de la communication minimale. Cela pourrait changer l’année prochaine puisqu’une nouvelle obligation entrera en vigueur en Suisse. Les actionnaires devront voter sur le rapport de durabilité établi par l’entreprise. Pour Vincent Kaufmann, il y a un risque d’effet pervers sur la politique de lutte contre le changement climatique. Nestlé a pris un engagement de neutralité carbone mais il est difficile d’obtenir des détails sur la feuille de route. "La transparence des comptes de Nestlé n'est pas suffisante aussi bien sur les provisions en lien avec l’affaire Buitoni que sur l’impact du changement climatique dans les états financiers. Sur le climat, alors que nous avions négocié longuement pour avoir une feuille de route climatique en 2021, le groupe n'a pas voulu soumettre au vote cette année son rapport de progrès climatique", explique Vincent Kaufmann.
Première source d’inquiétude dans ce domaine, Nestlé a fait un choix de communication curieux sur ses émissions de CO2. Il quantifie les émissions évitées comparativement à un scénario "Business As Usual" c’est-à-dire le volume de CO2 qu’il aurait émis sans politique climatique compte tenu de sa croissance. Cela donne qu’en 2025 ses émissions annuelles atteindront 93 millions de tonnes de CO2, au lieu de 99 millions de tonnes, soit l'équivalent de 6 millions de tonnes évitées mais pas réduites ! On est loin des engagements climat alignés sur l’Accord de Paris basés sur la science et certifiés par un tiers externe et indépendant. Or le secteur agro-alimentaire représente 25 % des émissions mondiales. Même si Nestlé est l’un des rares groupes à avoir des engagements de neutralité carbone, les efforts des géants du secteur ne sont pour l’instant pas à la hauteur de leur contribution au réchauffement climatique.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic