Publié le 22 juin 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
Hermès implante une de ses maroquineries sur un site comptant des zones humides
Hermès est en pleine croissance. Pour faire face à cette demande, le fleuron français du luxe multiplie les ouvertures de maroquinerie en France. Alors que les zones déjà artificialisées sont généralement privilégiées, à Loupes, en Gironde, la marque va s'implanter sur un terrain vierge qui contient en partie des zones humides.

@Hermès
"Ici, on a qu’une église, un cimetière, un cabinet infirmier et une toute petite mairie. Aucun commerce, pas d’école, … au total, on n’est même pas 1 000 habitants", explique à Novethic un agent municipal. C’est dans cette petite commune de Loupes, en Gironde, que le géant du luxe Hermès a jeté son dévolu. Il compte y implanter une nouvelle maroquinerie, sa 24e dans l’Hexagone, et créer 300 emplois. Le projet a obtenu le feu vert du commissaire chargé de l’enquête publique, s’appuyant sur différentes évaluations ayant elles aussi abouties à une validation du projet.
Le problème, qui est bien mis en avant dans les conclusions de l’enquête publique, c’est que le site choisi par Hermès se situe en partie sur des zones humides, comme l'a revélé le journal Rue89 Bordeaux. Au départ, 4,4 hectares sur les 6 hectares de terrain étaient concernés. Mais les mesures d’évitement et de réduction prises par la suite dans la conception du projet ont permis de réduire la superficie des zones humides impactées à environ un hectare. En outre, pour limiter l’impact sur la biodiversité du projet, l’entreprise s’est engagée à compenser à plus de 300% cette surface dans le cadre d’un contrat de gestion de 30 ans.
Des zones humides "dégradées"
L’affaire pourrait s’arrêter là, mais en pleine crise climatique – les zones humides jouent un rôle majeur dans la séquestration du CO2 – et de perte massive de biodiversité, le choix d’Hermès, un acteur par ailleurs particulièrement engagé sur ces deux sujets, interroge. Une dizaine d’autres terrains avaient bien été prospectés dans le secteur mais aucun ne cochait les nombreux critères fixés par l’entreprise.
Le site choisi par Hermès pour implanter une nouvelle maroquinerie. (Source : Hermès)
Il fallait en effet que le nouveau site se situe à 30 minutes/30 kilomètres de l’agglomération bordelaise et de l’atelier Hermès déjà implanté à Saint-Vincent de Paul, qu’il soit desservi par les transports en commun, qu’il n’ait pas de voisinage proche ou encore qu’il dispose d’un terrain suffisamment grand. Des critères que seul le site de Loupes remplissait dans leur ensemble, précise le rapporteur dans ses conclusions. Par ailleurs, les zones humides impactées par l’implantation de la manufacture sont considérées comme "dégradées" voire "très dégradées" par les usages et le surpâturage, et les impacts faune/flore/biodiversité évalués comme "limités".
"Même s’il est à l’écart des grands réservoirs de biodiversité, le site se situe entre 2 ZNIEF (Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique) et sites Natura 2000. Le site lui-même est composé d’une douzaine d’habitats d’intérêt communautaire et 24 espèces d’oiseaux nicheurs", explique Colette Gouanelle, secrétaire générale de l'association Sepanso Gironde, dans un courrier adressé à la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers, que Novethic a pu consulter.
Choisir entre économie et environnement
Des arguments qui ne pèsent pas lourd dans la balance quand on les compare aux 300 emplois promis. L’intérêt général du projet est ainsi plusieurs fois mis en avant dans les conclusions de l’enquête publique ou par la Communauté de communes, Hermès étant un "acteur économique qui compte dans la création d’emplois national et de la région Nouvelle-Aquitaine", qui s’inscrit dans une démarche favorisant "l'emploi qualifié et l’inclusion sociale" et qui porte "à un haut niveau d’excellence le savoir-faire français".
"Tout le monde est content sauf l'environnement", témoigne auprès de Novethic Jean Cézerac, ancien adjoint au maire de Loupes. Il a décidé de démissionner en raison de ce projet contre lequel il s'opposait et qui a nécessité de modifier le Plan local d'urbanisme intercommunal pour être validé. "C'est un beau projet, mais qui conforte un mode de vie à deux vitesses et participe à l'enrichissement de certaines familles fortunées", explique également à Sud-Ouest Mathilde Feld, conseillère communautaire, qui a voté contre la délibération.
Forte croissance
Hermès fait face à une demande croissante et multiplie les ouvertures de sites sur le territoire. Depuis le début de l’année, deux sites ont été ouverts. L'un à Louviers dans l’Eure, en avril dernier, sur une ancienne friche industrielle et l'autre sur le parc d’activité de Tournes dans les Ardennes. Une troisième maroquinerie doit ouvrir à Riom, en Auvergne, dans l’ancien bâtiment de la Manufacture des tabacs d’ici 2024. Puis en 2025, il y aura celle de Loupes et un autre, situé à l’Isle d’Espagnac en Charente, sur un terrain vague. Au total, le groupe compte une cinquantaine de sites de production en France et plus de 5 600 artisans.
Il revendique une fabrication 100% française de ses sacs, chacun d'entre eux étant assemblé par un maroquinier du début à la fin, sans morcellement des tâches ou d’automatisation. Le groupe précise ainsi que 48% de ses collaborateurs travaillent dans la production. Il a également pris des engagements environnementaux. Il vise par exemple à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici 2030 par rapport à 2018). Contacté à plusieurs reprises, il n’a pas répondu à nos appels.