Publié le 27 août 2015
ENVIRONNEMENT
En Chine, 66 000 morts dans des accidents industriels en 2014
Tous les ans en Chine, de grands accidents industriels, comme celui de Tianjin, attirent l’attention des médias du monde entier sur la très mauvaise situation de la sécurité industrielle. Malgré les discours volontaristes des autorités chinoises, les acteurs de la société civile ne voient pas d'avancées réelles sur le terrain. Et les catastrophent se succèdent, dans un pays où la culture de la sécurité industrielle est inexistante.

Zhu Wei / XINHUA / AFP
L’explosion spectaculaire dans un entrepôt de Tianjin, le 12 août dernier, a fait 139 victimes, 44 disparus et plus de 700 blessés. La ville est toujours sous la menace d'une pollution massive au cyanure. Pourtant, c’est presque un accident parmi d’autres en Chine, où 66 000 personnes sont mortes dans des accidents industriels en 2014.
L’entrepôt de produits chimiques dangereux, détenu par l’entreprise Ruihai, avait passé les contrôles légaux cette année. Sur le site de la société d’audit de sécurité Zhongbing Haisheng, on peut lire que 40 remarques de sécurités ont été faites à Ruihai lors du dernier examen, mais que l’entreprise a résolu chacun de ces problèmes.
"Un problème de collusion et de corruption"
Pas une ligne sur le fait que l’entrepôt se trouvait à moins d’un kilomètre d’une zone d’habitation, et rien qui pourrait suggérer des carences à l’origine de l’explosion du 12 août. Selon plusieurs sources, citées par la presse chinoise, une autre société d’audit spécialisée dans la sécurité avait d’abord refusé ses services à Ruihai, justement à cause de la proximité avec des lieux d’habitations.
D’après Greenpeace Asie, dans quatre grands ports chinois, dont Shanghai et Canton, des résidences se trouvent aussi à quelques centaines de mètres d’entrepôts dangereux.
Plutôt que de se conformer à la loi, Ruihai s’est tourné vers une entreprise plus conciliante. Une situation courante en Chine, où l’écart entre les réglementations et la réalité du terrain est large. "Beaucoup de gouvernements locaux n’ont pas les capacités, ou la volonté de faire appliquer les règlementations sur la sécurité au travail", explique Geoffrey Crothall, porte-parole de l’organisation non gouvernementale basée à Hong Kong, China Labour Bulletin, qui promeut les droits des travailleurs en Chine. "Il y a un problème de corruption et de collusion entre les chefs d’entreprises et les autorités locales, souvent plus intéressées par le développement économique que par la sécurité des travailleurs", poursuit-il.
Accidents à répétition
L’histoire se répète régulièrement. En août 2014, une explosion dans une usine de pièces automobiles a fait 146 morts à Kunshan, près de Shanghai. L’enquête a montré que des portes coupe-feu étaient fermées à clé, qu’il n’y avait pas d’issues de secours, et que la plupart des employés n’avaient reçu aucune formation à la sécurité.
Dans l’industrie chimique en particulier, les règles de sécurité sont particulièrement mal respectées. La semaine dernière, des inspections menées après l’explosion de Tianjin ont montré que 70 % des entreprises travaillant avec des produits dangereux présentaient des failles de sécurité dans l’agglomération de Pékin.
Début août, une explosion dans une usine de produits chimiques à Rizhao, dans le Shandong (sud), avait alerté les autorités. Le port de Tianjin avait ordonné des contrôles, sans qu’on sache si Ruihai avait été inspecté.
"C’est ce qui se passe chaque fois qu’un grave accident industriel a lieu. Les autorités centrales ordonnent des inspections, mais dans les faits, ce sont de pures formalités : même si une entreprise est pointée du doigt, elle peut échapper aux sanctions en corrompant les bonnes personnes", explique Huang Caigen, qui a créé l’association "Xiaoxiaoyu" dans le Zhejiang, pour venir en aide aux salariés victimes d’accidents du travail.
Le 22 août, 10 jours après l'accident de Tianjin, une nouvelle explosion a fait 1 mort et 9 blessés dans une usine de produits chimiques à Zibo dans le Shandong, au sud de Pékin.
Une légère baisse statistique
Derrière ces accidents graves, des milliers d’autres ont lieu chaque jour et n’attirent pas l’attention sur eux. "Le secteur de la construction est très touché", indique Geoffrey Crothall, de China Labour Bulletin.
Au total, au premier semestre 2015, 139 000 accidents industriels ont eu lieu, faisant 26 000 victimes, d’après les chiffres du gouvernement. Un chiffre en baisse de 7,5 % et de 5,5 % respectivement, par rapport à la même période l’année précédente (il y a eu 290 000 accidents et 66 000 morts en 2014).
Une baisse qui s’explique sans doute par le ralentissement économique, la baisse drastique du secteur du bâtiment et les restructurations qui ont lieu dans le secteur des mines notamment, où beaucoup de petites mines dangereuses ont fermé, estime le porte-parole de China Labour Bulletin. "Ces chiffres restent bien trop élevés", insiste-t-il.
En 2012, après un incendie dans un abattoir de volailles ayant fait 119 morts, le président Xi Jinping avait alors appelé à faire des efforts pour combattre les problèmes de sécurité "profondément enracinés" en Chine. Mais pour Geoffrey Crothall, la réalité est cruelle : "Il n’y a pas de culture de la sécurité au travail en Chine".
L'accident de Tianjin, un tournant?
L'accident de Tianjin pourrait quand même marquer un tournant. Spectaculaire, il a fait la Une des journeaux du monde entier. Deux semaines après l'explosion, les annonces de sanctions des autorités chinoises au lendemain de la catastrophe se sont traduites par des arrestations qui visent directement les plus hauts responsables.
Le 27 août, la police chinoise a arrêté 12 personnes dont le président, le vice-président et trois autres dirigeants de l’entreprise qui possédaient l’entrepôt où étaient stockés les produits chimiques qui ont explosé. La semaine dernière, ils avaient confessé à la télévision publique d’Etat avoir utilisé leurs "connexions politiques" pour obtenir des autorisations et contourner les règles de sécurité.
Et le coup de filet n’est pas fini. Le parquet populaire suprême chinois a annoncé que des enquêtes avaient été ouvertes contre 11 responsables publics pour "abus de pouvoir" et "négligences". Parmi eux, des officiels appartenant à plusieurs départements du gouvernement local (transports, douanes, sécurité du travail) mais aussi le président du groupe étatique gérant le port de Tianjin.