Publié le 21 septembre 2018

ENVIRONNEMENT

[Décryptage] Zéro, le nouveau chiffre magique pour le climat

"Zéro carbone" ou "zéro déchet"… Ce sont les nouveaux mots d’ordre des collectivités et entreprises en matière de lutte contre le changement climatique. Pour espérer atteindre les objectifs de l’accord de Paris, la neutralité carbone est en effet nécessaire avant même la fin du siècle. Mais que se cache réellement derrière ce chiffre magique ?

zéro, le nouveau chiffre magique brandi par les villes et entreprises pour prouver leur engagement climatique
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Quand il s'agit de climat le chiffre zéro est un chiffre positif. Voire magique. Lors des sommets sur le climat comme celui de San Francisco la semaine dernière, les villes et entreprises n'hésitent pas à le brandir pour montrer l'ambition de leurs actions contre le changement climatique.

Il y a quelques années encore tant la neutralité carbone paraissait hors de portée et flou. Mais le terme a acquis une certaine attractivité politique et marketing depuis l’Accord de Paris. Pour limiter la hausse de la température globale bien en dessous de 2°C, il fixe à 2080 le cap pour la neutralité carbone. Un "zéro émission nette" qui implique de très faibles émissions, en partie compensées par des technologies à émissions négatives (capture et stockage du carbone, plantation d’arbres, etc.). 

Les villes en pointe, les grandes entreprises au taquet

Plusieurs grandes villes du monde réunies dans le C40, une coalition de collectivités engagées dans la lutte contre le changement climatique, se sont engagées à l'atteindre d'ici 2050. En attendant, elles se sont fixées plusieurs "zéro" intermédiaires, par paliers. "Zéro déchet" dans quelques décennies, avec un objectif de recyclage ou compostage de 70% d'ici 2030 ; "zéro carbone" pour les bâtiments neufs, à travers des constructions à haute performance énergétique;  "zéro émission de dioxyde de carbone" pour les voitures d’ici 2030.

Les entreprises ne sont pas en reste. Depuis la COP21, les grands groupes, comme Unilever, EDF ou Interface, multiplient eux aussi ce type d’engagement avec des feuilles de route "zéro". Les nouvelles demandes des collectivités devraient accélérer le processus, notamment pour l’industrie automobile ou de la construction. Sans oublier les nouvelles exigences des investisseurs responsables.

"La neutralité carbone doit être notre étoile du Nord, je suis contente d'entendre lors de ce sommet (Le Global Climate Action Summit, ndr) que le net zéro est maintenant notre cri de ralliement", déclarait ainsi Laurence Tubiana, la dirigeante de la European Climate foundation. 

Une neutralité pas si facile

Mais le "zéro émission" reste une gageure, technique, politique et comportementale. D'abord pour définir l'objectif en lui-même, soulèvent Jean-Marc Jancovici et Renaud Bettin du cabinet Carbone 4 dans une tribune sur la neutralité carbone : "Sur quoi s'engager ? Ses seules émissions directes, ou celles de l'ensemble de sa chaîne logistique (…) ? Faut-il raisonner en annuel ou en cumulé ? La compensation carbone (…) est-elle une modalité acceptable ?"

Autre difficulté, la neutralité carbone implique de jouer sur tous les tableaux : la réduction de la consommation énergétique, le report des énergies fossiles fortement émettrices vers des énergies bas carbone, la conversion des flottes automobiles à des moteurs électriques ou à hydrogène. Sans compter les usines, le chauffage des bâtiments, les déchets, la reforestation... Cela demande une transformation en profondeur des business model des entreprises et des stratégies de développement urbain.

Sensibilisation et standardisation

Autre défi et non des moindres : embarquer les petites entreprises qui constituent l’immense majorité du tissu économique. C’est le sens d’un rapport publié par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). En France, ces 4 millions d’entreprises ne consomment qu’1 % de l’énergie, mais sont responsables de 12 à 14 % des émissions hexagonales. Le problème est que leur connaissance du sujet et leur mobilisation restent faibles. Et leur marge de manœuvre est souvent plus réduite que celle des grands groupes.

Enfin, il reste à clarifier et à harmoniser les méthodologies. C'est notamment ce que demande la Chaire économie et climat dans une note récente. Plusieurs travaux sont en cours comme celui entamé par Carbone 4 avec neuf entreprises françaises (dont Engie, L’Oréal, Orange ou BPCE). Les premiers résultats seront présentés à la COP24 en décembre.

Béatrice Héraud @beatriceheraud 


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