Publié le 03 décembre 2015

ÉNERGIE
Jean Ballandras : "Le débat sur la compétitivité des énergies renouvelables n'a plus lieu d'être"
Akuo Energy est une entreprise française en pleine croissance. Son modèle économique, basé sur les énergies renouvelables, rencontre un succès probant, notamment à l'étranger et en outremer. Rencontre avec Jean Ballandras, secrétaire général d'un énergéticien pour qui la valorisation des territoires et des habitants est un facteur de réussite à long terme.

Akuo Energy / Eric Legrand
Novethic. Akuo Energy est une entreprise française qui a vu le jour en 2007. Sur quel modèle votre entreprise s'est-elle construite ?
Jean Ballandras. Akuo Energy est une société jeune dont l'objet a été, dès le départ, de développer, de mettre en oeuvre et d'exploiter des sites uniquement consacrés aux productions électriques d'origine renouvelable. Nous avons débuté dans l'éolien, qui est le métier historique de la société. Puis nous avons investi dans le solaire. Nous abordons désormais d'autres chapitres de notre histoire, à savoir la biomasse et l'énergie hydraulique, c'est à dire les barrages. Il y a enfin les énergies marines que nous développons à l'international. C'est une façon de produire de l'énergie qui est particulièrement adaptée aux régions insulaires, où nous sommes très implantés.
Novethic : Si vous deviez résumer Akuo Energy en chiffres...
Jean Ballandras. Un peu moins de 250 collaborateurs dans le monde entier dont une centaine en France. Une présence sur les 5 continents. Un chiffre d'affaires de 115 millions d'euros de vente d'électricité à fin 2014. Nous serons à 150 millions d'euros à la fin 2015. Ce sont des bureaux à Chicago, à Montevideo, à Paris, à Varsovie, à Zagreb, à Ankara, à Bamako et à Bali. Nous sommes aussi présents en Corse, à La Réunion et en Martinique. Nous produisons aujourd'hui, toute technologies confondues, 500 mégawatts. Ce chiffre sera porté à 1 gigawatt d'ici deux ans. C'est l'équivalent d'un réacteur nucléaire.
2015, année charnière
Novethic. En 2007, le contexte n'était pas favorable aux entreprises se lançant dans les énergies renouvelables, notamment en raison des coûts de production. Où en est-on en 2015?
Jean Ballandras. La grande nouveauté de l'année 2015, c'est qu'il n'y plus aucune question à se poser. Le renouvelable à terre, c'est à dire le solaire et l'éolien, sont moins chers que les formes classiques de génération de l'électricité, qu'il s'agisse de gaz, de charbon ou de nucléaire en France métropolitaine. En ce qui concerne le nucléaire, je parle des coûts réels de cette énergie.
Sur 20 ans, si on compare le prix des énergies renouvelables, démantèlement compris, nous parvenons à produire de l'éolien entre 65 et 70 euros du Mégawatt/heure (MWh). En ce qui concerne le solaire, le prix de l'électricité produite dans un parc éolien dans le pourtour méditérranée oscille entre 70 et 75 euros du MWh. Le prix du nucléaire, neuf et donc non amorti, est évidemment supérieur, quand bien même il n'intègrerait pas les coûts liés à l'enfouissement et au démantèlement des centrales. Le débat sur la compétitivité des énergies renouvelables n'a aujourd'hui plus lieu d'être. Elles sont moins onéreuses. 2015, année charnière pour les renouvelables
Novethic. Le constat est-il aujourd'hui le même dans les régions ultra-marines qu'en France métropolitaine ?
Jean Ballandras. Oui. Sur des îles comme La Martinique ou La Réunion, y compris sur des solutions solaires + stockage, le coût est moins élevé que celui de projets mélangeant le charbon, les barrages, la bagasse, etc. Le classique va coûter toujours plus cher et le renouvelable le sera de moins en moins dans les années qui viennent. La coupure entre les deux lignes s'est opérée en 2015.
Novethic : En quoi votre structure capitalistique est-elle aujourd'hui un atout ?
Jean Ballandras. Nous n'avons pas d'actionnaire majoritaire et nous ne sommes pas côtés en bourse. C'est à dire que la liberté de décision appartient en totalité à l'équipe dirigeante qui possède également 80 % du capital de l'entreprise. Et cette équipe dirigeante est également celle qui a fondé Akuo Energy. Cela nous permet d'être innovants. On peut citer à titre d'exemple la première ferme solaire que nous avons créée à La Réunion, sur la commune du Tampon, il y a de cela 4 ans. Nous savions que le modèle économique était dégradé, d'un point de vue strictement financier. Existait même le risque d'être déficitaire. Pour autant, nous savions que ce concept avait du sens en milieu insulaire.
C'est donc un choix stratégique et non un choix d'investissement qui a été fait. Nous avons fait le choix d'avoir une vitrine, au risque de perdre de l'argent. Ce concept, pour s'exporter à l'étranger, ne le pouvait qu'à la condition qu'une première version existe sur le territoire français et européen. In fine, il a une rentabilité médiocre mais il n'a jamais été déficitaire. Nous avons par ailleurs construit 5 autres fermes de ce type à La Réunion et nous avons exporté ce projet aux Fidji, en République Dominicaine, en Nouvelle Calédonie et en Indonésie.
"Un regard différent sur le territoire"
Novethic. Vous êtes très présents à l'international. Comment abordez vous ces marchés ?
Jean Ballandras. Il faut prendre le temps. Et être humble. Si vous êtes convaincus que le monde vous attend et que vous détenez la vérité universelle, il ne faut pas s'étonner de passer à côté du sujet. Nous sommes au contraire parfaitement convaincus que nous ne détenons pas cette vérité. Et que celle-ci, si elle existe un jour, ressortira des échanges et de l'intensité du projet qui sera créé autour du projet.
Novethic : Qu'est-ce qui distingue une entreprises comme la vôtre d'un énergéticien qui exploite les énergies fossiles ?
Jean Ballandras. La vraie différence, c'est que le regard sur le territoire est totalement différent. Dans le fossile, on vient, on extrait, on prend et une fois que la ressource est épuisée, il n'y a plus d'histoire à raconter. Il ne reste plus alors qu'à partir. Dans le renouvelable, il faut s'installer, développer, valoriser la ressource. Comme la ressource ne s'épuise pas, on s'inscrit naturellement dans une démarche de long terme. Se crée alors une histoire commune avec le territoire et ses habitants. Nous ne nous inscrivons pas dans une démarche utilitariste. Mais dans une démarche de recherche de sens et de valeur. À la Réunion notamment, nous avons certes produit de l'énergie, mais nous avons également contribué au développement de l'agriculture biologique et mis en place un programme de réinsertion pour détenus. Si une entreprise s'installe pour 50 ou 100 ans, elle ne peut pas dire qu'elle ne connaît pas la population.