L’avenir énergétique de l’Union européenne se trouve-t-il entre les mains des hydrocarbures américains ? Dimanche 27 juillet, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne a annoncé que l’UE achèterait aux Etats-Unis des quantités “significatives” d’hydrocarbures, à l’issue de l’accord-cadre commercial signé avec Donald Trump. Celui-ci fixe des droits de douane de 15% sur la plupart des marchandises européennes, au lieu des 30% annoncés initialement.
“Nous remplacerons le gaz et le pétrole russes par des achats importants de GNL (gaz naturel liquéfié), de pétrole et de combustibles nucléaires américains”, à hauteur de 750 milliards de dollars sur trois ans, a-t-elle précisé, soit 250 milliards par an. Il s’agissait aussi pour l’exécutif européen d’offrir une monnaie d’échange et convaincre Donald Trump d’abaisser les droits de douane. Un deal gagnant-gagnant ?
Triplement des achats d’énergie
Pas pour la transition énergétique, s’offusquent de nombreux observateurs. “Cela risque d’enfermer l’Europe dans des décennies de dépendance aux combustibles fossiles, de factures d’énergie volatiles et d’accélérer les incendies de forêt et les inondations qui font déjà des ravages sur le continent”, réagit Andreas Sieber, directeur adjoint des politiques et des campagnes chez 350.org, évoquant une “erreur stratégique”.
Anne-Sophie Corbeau, chercheuse internationale au Centre de politique énergétique mondiale de l’Université Columbia, estime que cet accord devrait entraîner un triplement des achats d’énergie américaine par l’UE, compte tenu des taux de change. “Pour respecter cet accord, nous devrions non seulement acheter la totalité de notre GNL aux États-Unis, mais aussi 60% du pétrole que nous importons. Or, c’est impossible, ne serait-ce qu’en raison des contrats à long terme déjà en vigueur”, complète Pedro Fresco, directeur général de l’Association valencienne des entreprises du secteur de l’énergie (AVAESEN). Pour rappel, en 2024, l’UE a importé pour 434 milliards de dollars d’énergie fossile, selon Eurostat.
Les experts pointent en outre une incohérence avec le marché qui voit la demande en gaz baisser au sein de l’UE. “Le marché a peu de chances d’absorber les volumes excédentaires”, assure Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste au sein de l’Institut d’économie de l’énergie et d’analyse financière (IEEFA) Europe. Sur le plan climatique enfin, le GNL américain apparaît comme plus émetteur que le charbon, avec 33% d’émissions supplémentaires sur l’ensemble du cycle de vie, selon une analyse de La Société de chimie industrielle (SCI), publiée en octobre dernier.
“Etat pétrolier européen”
Plus globalement, c’est le cœur du Green Deal qui est en jeu, et la sortie progressive des énergies fossiles pour atteindre la neutralité climatique en 2050. “Nous nous trouvons à un tournant historique rare. Les pays doivent choisir entre rester des États pétroliers ou devenir des États électriques. Malheureusement, von der Leyen semble déterminée à gâcher cette opportunité en renforçant le statut d’État pétrolier européen“, regrette Gerard Reid, membre du Forum sur la transition énergétique.
Au premier semestre 2025, les importations de GNL américain représentaient déjà plus de 50% des importations européennes de GNL et 27% des importations européennes de gaz. C’est la conséquence des restrictions européennes sur le gaz russe depuis l’invasion en Ukraine. Au premier trimestre 2025, le volume de gaz naturel liquéfié a ainsi augmenté de 24,4% par rapport au trimestre précédent, et de 113,5 % par rapport au premier trimestre 2021. A contrario, le gaz transporté par gazoduc diminue.
Mais il ne faudrait pas remplacer une dépendance par une autre. “La véritable résilience ne viendra pas de la satisfaction des désirs de Trump, mais d’une économie fondée sur une énergie locale, propre et abordable”, conclut Aymeric Kouamm, analyste énergie chez Strategic Perspectives.