Publié le 16 février 2023
ÉCONOMIE
Réforme des retraites : "Le vrai âge de départ devrait être 45 ans", estime Pierre Sabatier de PrimeView
La réforme des retraites continue de mobiliser contre elle, alors que les syndicats ont appelé à la grève ce jeudi 16 février. Pour Pierre Sabatier, économiste prospectiviste et fondateur du cabinet PrimeView, le projet focalisé uniquement sur les aspects techniques de la retraite rate sa cible et acte un appauvrissement des pensions. Le vieillissement de la population nécessite de réfléchir à un nouveau mode d’organisation de la société.

@PrimeView
La mobilisation contre les retraites ne semble pas faiblir. Comment analysez-vous cela ?
Quel que soit le sujet, l’acceptabilité d’une réforme par la population n’est possible que si elle transforme le modèle pour de bon. Si le sujet revient tous les cinq ans, cela ne fonctionne pas car cela ne donne pas de visibilité sur le long terme.
En l’occurrence, la question sous-jacente de la réforme des retraites ne peut pas se résumer à un retour à l’équilibre des finances publiques. À périmètre constant, il n’est pas possible d’équilibrer les comptes dans un contexte de vieillissement de la population. Aujourd’hui, il y a 13 millions de personnes qui ont plus de 65 ans, il y en aura 16 millions en 2030. La question centrale concerne plutôt le pouvoir d’achat et le niveau de vie des seniors de demain, et cela nécessite bien plus qu’une réforme des retraites. C’est à un nouveau modèle d’organisation de la société qu’il faut réfléchir.
Étant donné le vieillissement de la population, le rapport entre les cohortes d’âge d’aujourd’hui est tellement différent de celui de l’époque où le régime des retraites a été conçu, qu’il ne peut pas y avoir d’autre alternative qu’une baisse des pensions, soit parce que les gens partent plus tard à la retraite donc bénéficient moins de leur pension, soit parce que le chômage des seniors restant élevé sur la fin de leur carrière, cela diminue mécaniquement leur niveau de pension.
Donc si on aborde le sujet uniquement sous le prisme de l’âge, on acte la paupérisation des personnes retraitées, sans permettre de réfléchir à une organisation de la société qui assure le maintien de leur niveau de vie.
Quelle réforme de la société suggérez-vous ?
C’est avant tout une réforme du marché de l’emploi qui est nécessaire. Il faut mettre en place une organisation du travail qui permette de préserver les revenus tout au long de la vie, mais aussi revoir la fiscalité de l’épargne pour que celle-ci permette de fournir un complément de revenu si nécessaire. Enfin, il faut faciliter la solidarité dans la population, qu’elle soit intrafamiliale ou pas. Tout cela, c’est très différent d’une simple question d’âge de départ à la retraite ! Le mot même de retraite amène à ne pas trouver de solution, car cela suggère l’idée qu’une personne se mette en retrait et ne fasse plus rien. C’est très éloigné de la réalité.
Vous pensez donc qu’il faut travailler après la retraite ans pour maintenir le niveau de vie ?
La question qu’il faut se poser, c’est auront-ils envie de travailler pour compléter leurs revenus ou pas ? La vision caricaturale de l’emploi ne correspond pas aux besoins de la population. En fait, le vrai âge de départ devrait être à 45 ans ! Le travail, cela correspond à un niveau de revenu pour lequel on est prêt à passer du temps. Or la disponibilité et l’engagement que l’on est prêt à apporter à son entreprise varient en fonction de l’âge. À 45 ans, on pourrait donc avoir le choix : soit on continue sa carrière, soit on liquide des premiers droits à la retraite pour envisager une carrière différente. Par exemple, pour ne travailler que quatre jours par semaine, ce qui permet aussi à l’entreprise de baisser son coût global. Il pourrait donc exister un marché secondaire du travail, à partir de 45 ans, dans lequel on réévalue sa carrière en fonction de ses besoins.
Cela ne soulève-t-il pas la question de l’employabilité des seniors ?
Les entreprises ont aujourd’hui tendance à faire partir les salariés au-delà d’un certain âge, notamment parce qu’il y a une linéarité du coût du travail en fonction de l’âge. Il faudrait réduire progressivement les charges sociales sur le travail des seniors, ce qui éteindrait l’argument selon lequel le coût de la main d’œuvre senior est trop élevé. La réforme du marché de l’emploi doit aussi sous-tendre une réforme de la formation. Celle-ci doit permettre à la fois d’assurer l’employabilité des personnes dans leur deuxième partie de carrière, mais aussi assurer l’employabilité des jeunes, qui sont aujourd’hui encore éloignés de l’emploi. Il faut aborder le sujet comme un sujet de société.
La solidarité entre les générations, dans le cadre du vieillissement de la population, doit-elle aussi être revue ?
C’est un vrai sujet de société. La solidarité intrafamiliale est aujourd’hui physiquement impossible car la répartition territoriale n’est pas organisée pour cela. Le travail est concentré dans certains endroits, dans les grandes villes généralement, tandis que les seniors habitent dans d’autres endroits. La distribution de l’activité économique sur le territoire n’est aujourd’hui pas abordée, alors que c’est un enjeu majeur, aussi bien écologique que sociétale.
Il faut que la société soit en mesure d’appréhender le fait que, demain, elle sera de plus en plus mature. C’est une organisation complètement différente de celle qui a été dessinée dans les années 70 et 80.
Arnaud Dumas, @ADumas5