Publié le 17 mars 2023
ENVIRONNEMENT
Plan Eau : les industriels français n’ont pas assez anticipé les risques liés à la sécheresse
Alors que la France traverse une sécheresse hivernale et devrait connaître une sécheresse estivale encore plus accentuée qu'en 2023, les industriels, qui représentent 6% de la consommation d'eau en France, n'ont pas d'autres choix que de faire la chasse au gaspi. Mais peu d'entre eux ont anticipé cette sobriété hydrique et sont suspendus au Plan Eau du gouvernement qui devrait être détaillé dans les prochains jours.

@Copacel
"On ne peut pas produire de papier sans eau", résume Bénédicte Oudart, directrice environnement du syndicat des papetiers Copacel. Le secteur est en effet l’un des plus gros consommateurs d’eau dans l’industrie (hors énergie), après la chimie, et devant l’agro-alimentaire. Il faut entre 10 000 et 25 000 litres d’eau pour fabriquer une tonne de papier. La sécheresse hivernale qui frappe l’Hexagone, avec 80% des nappes phréatiques à des niveaux modérément bas à très bas fin février, suscite de fortes craintes. Lors de la sécheresse inédite de 2022, 14 papetiers sur 80 avaient déjà dû faire face à des injonctions de réduction de leur consommation. Trois avaient subi des baisses d'activité.
Si les sites papetiers font l’objet de restrictions liées à la sécheresse depuis des années, ça n’impactait pas forcément leur production. Ils se contentaient de limiter les opérations de nettoyage ou de reporter les exercices incendie. "Mais là ça va devenir compliqué. Car même si nous restituons en aval 90% de l’eau que nous prélevons, nous avons besoin d’eau en amont. Qui plus est, en période caniculaire, la température de l’eau que nous rejetons se pose également car elle est forcément plus chaude", détaille la représentante de la filière à Novethic.
Arrêter de produire du papier en France
Le secteur a déjà fait des efforts sur la consommation d’eau, en la réduisant de 55% en trente ans, le déclic sur les risques liés à la sécheresse n'est véritablement apparu que l’année dernière. Un groupe de travail a alors été lancé et plusieurs pistes mises à l’étude. Mais Bénédicte Oudart reconnaît "qu’ils ne seront pas opérationnels pour l’été 2023". "Tant qu’il n’y a pas de contrainte sur la ressource, on ressent moins le besoin de faire des efforts". L'industrie fait face à de nombreux investissements pour se décarboner et est très impactés par la crise de l’énergie. Ce à quoi il faut ajouter les économies d’eau. "Il va falloir faire des arbitrages", souffle-t-elle.
Parmi les mesures mises en place, il y par exemple la ferti-irrigation qui permet à certains sites papetiers de renvoyer leurs eaux chargées en azote et en phosphate vers des cultures agricoles, mais la réglementation n’est pas encore adaptée à ces pratiques. Certains sites utilisent aussi des bassins de stockage et des expérimentations sont lancées sur le recyclage de l’eau en circuit fermé avec toutefois des limites liées au taux de matières organiques. "Nous aurons toujours besoin d’eau fraîche", rappelle Bénédicte Oudart qui craint qu’à terme, si les étés sont toujours plus secs, ce qui semble très probable, on arrêtera de produire du papier en France.
"Ne pas être au pied du mur"
En Bretagne, le programme Ecod’o (pour économies d’eau) fait figure de pionnier. "Notre ambition était de ne pas être au pied du mur mais justement d’anticiper", lance Luc Guymare, chef de projet régional, interrogé par Novethic. En 2017, la préfecture du Morbihan se saisit du sujet après une sécheresse hivernale et mandate la Chambre du commerce et de l'industrie départementale pour sensibiliser et accompagner les entreprises dans les secteurs de l’industrie et du tourisme. 70 ont déjà bénéficié du dispositif qui prévoit notamment un pré-diagnostic gratuit.
Au vu du succès et de la sécheresse inédite de 2022, Ecod’o a été étendu à toute la région en fin d’année dernière avec pour objectif d’accompagner 70 entreprises rien que sur 2023. "Nous avons reçu plus de 100 candidatures. La crise de 2022 a permis une vraie prise de conscience, poursuit Luc Guymare. Les investissements des entreprises sont désormais conditionnés par le fait de sécuriser l’approvisionnement en eau, ce qui n’aurait pas été le cas il y a encore 2 ou 3 ans. C’est devenu un sujet intégré aux stratégies de l’entreprise." La région Occitanie et Pays de la Loire travaillent sur des dispositifs similaires.
La réutilisation des eaux traités devrait être facilitée
Les regards sont désormais tournés vers le gouvernement. La première ministre, Élisabeth Borne, et le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, doivent présenter la semaine prochaine leur très attendu Plan eau. Celui-ci devrait comprendre le lancement d’un "Ecowatt de l’eau", sur le modèle de ce qui existe sur l’énergie. Les annonces sur la réutilisation des eaux usées traitées (Reuse), seront particulièrement scrutées car les industriels misent dessus pour faire d’importantes économies. Aujourd’hui, elles sont par exemple interdites dans l'industrie quand il y a un contact avec des produits alimentaires, si bien que seulement 0,6% des eaux usées traitées sont réutilisés.
"Attention toutefois, tempère Luc Guymare. Le Reuse n’est pas la solution miracle, ce sont des process difficiles et coûteux. Et avant de se lancer dedans, il est indispensable d’avoir réduit ses usages." Sur un échantillon d’entreprises accompagnées par Ecod’o en 2020-2021, représentant 5 millions de mètres cube d’eau consommés par an, 10% d’économies ont pu être réalisées grâce à la réduction des fuites, l'optimisation de la pression de l’eau en fonction des usages et un meilleur pilotage de la consommation d’eau. Après la sobriété énergétique, l’heure est à la sobriété hydrique.