Publié le 22 mars 2023
ENVIRONNEMENT
La réforme des retraites fait l'impasse sur le changement climatique et le manque d’eau
Mobilisation massive dans les rues, manifestations sporadiques et colère contre l’usage du 49.3 ne changent rien à la volonté d’Emmanuel Macron d’imposer une réforme des retraites qu’il décrit comme impérative. Il explique vouloir par la suite se consacrer à ses priorités, l’industrie décarbonée l’école, la santé et l’écologie, sans faire de lien ni entre ces priorités ni avec les retraites. Or le changement climatique comme la raréfaction de l’eau auront des impacts majeurs sur l’espérance et les conditions de vie de tous, ce que ne cessent de rappeler les scientifiques.

Ludovic Marin / AFP
Les mots climat et rapport du GIEC ont été prononcés pendant l’allocation d’une demi-heure d’Emmanuel Macron qui a pris la parole 48 H après l’adoption par 49.3 de la réforme des retraites. Simples allusions, ils n’étaient pas intégrés au raisonnement démographique qui consiste à repousser l’âge de la retraite à cause de l’allongement de la durée de vie et de la baisse du nombre d’actifs. Ces deux variables d’ajustement sont pourtant hautement tributaires du changement climatique.
La canicule de 2003 et la surmortalité des personnes âgées qu’elle a entraîné montrent l’impact de ce type d’épisodes dont l’intensité et la répétition ne cessent de s’accélérer. La baisse du nombre d’actifs peut être confortée par une robotisation massive ou inverser en recourant à des modèles qui nécessitent beaucoup plus de main d’œuvre comme l’agriculture écologique. Dans certains secteurs comme le bâtiment, les conditions de travail vont devenir de plus en plus difficiles. Pour les professeurs, enseigner dans des écoles passoires thermiques que les canicules rendent insupportables, dégrade aussi leur santé et renforce l’usure.
Indicateurs économiques qui ne prennent pas en compte les enjeux environnementaux
Invité de France Inter le 22 mars au matin, François Gemenne, spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège a rappelé que "Tous les grands enjeux politiques, économiques, sociaux qui vont traverser le XXIème siècle vont être transfigurés par la question du changement climatique". Il a ajouté : "Mais pour autant, les politiques ont toujours tendance à considérer ces sujets indépendamment les uns des autres. Les questions d'environnement sont toujours considérées comme des sujets un peu à part, qu'on pourrait résoudre par des politiques techniques ou technologiques".
C’est sans doute cela le plus surprenant. Les hommes et femmes politiques continuent à parler de l’allongement de la durée du temps de travail ou d’autres questions sociales en se basant sur des scenarios des indicateurs économiques qui ne tiennent pas compte des phénomènes environnementaux. Or cette transformation de la réalité est déjà palpable. La crise mondiale de l’eau est imminente a souligné Antonio Guterres en ouverture de la conférence onusienne sur l’eau qui se tient aux Nations unies. "L’eau est la ressource vitale de l’humanité et je supplie tous les pays réunis ici de chercher et trouver ensemble les solutions pour s’assurer que tous et partout auront accès à une eau propre et sure. Le temps de l’action qui transforme doit venir".
Water is humanity’s lifeblood.
At this week's @UN Water Conference, I'm urging countries to come together & find solutions to ensure everyone, everywhere has access to clean & safe water.
Now is the moment for game-changing commitments to bring the #WaterAction Agenda to life. pic.twitter.com/ShWBWjNBsc— António Guterres (@antonioguterres) March 22, 2023
Emmanuel Macron a bien promis un plan eau pour dans quelques semaines mais axée sur la sobriété de la consommation pas sur une autre répartition de cette ressource indispensable non seulement à la vie et à l’agriculture mais aussi à de nombreux processus industriels et aux centrales nucléaires. En France, l’agriculture prélève 45 % des réserves, les centrales nucléaires 30 % selon des chiffres du Ministère de la Transition Ecologique qui est en train de les réviser. Le manque d’eau récurrent fait donc peser une hypothèque sur le scenario de réindustrialisation décarbonée à base d’énergie nucléaire sur lequel se base le Président de la République pour légitimer sa réforme.
Enfin l’impact du changement climatique peut être important sur la santé au travail. Une enquête menée par le CESE en février dernier montrait que 70% des répondants considèrent que le dérèglement climatique et plus généralement la dégradation de l’environnement peut affecter la santé des salariés et des agents.
Cela devrait en principe conduire à l’intégrer aux réflexions sur les évolutions du cadre légal de la retraite. Les campagnes présidentielles et législatives de 2022 avaient largement échoué à embarquer la transformation écologique. Quelques mois plus tard, elle n’a toujours pas pris sa place dans un débat politique où elle devrait pourtant être centrale.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice générale de Novethic