Les zones à faibles émissions (ZFE) vont-elles prochainement disparaître ? Dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique, dont les débats ont commencé mardi 8 avril, les parlementaires pourraient bien y mettre un coup d’arrêt. Le dispositif a déjà été supprimé, le 26 mars dernier, lors de la commission spéciale chargée du projet de simplification, et ce, contre l’avis du gouvernement.
Les ZFE ont été instaurées par la Loi d’orientation des mobilités de 2019 et renforcées en 2021 par la Loi Climat et résilience. L’objectif : restreindre la circulation des véhicules les plus polluants dans les centres-villes, alors que chaque année, 48 000 morts prématurés et près de 30 000 cas supplémentaires d’asthme chez les enfants sont attribuables à la pollution aux particules fines en France. À l’origine, sa mise en place répondait à l’obligation européenne d’assurer une “bonne” qualité de l’air sur son territoire.
Ce qui n’est pas le cas en France. Le pays a déjà été condamné en 2019 par la Cour de justice européenne et a reçu, en février 2024, une mise en demeure de la Commission européenne pour non-respect des normes sur la qualité de l’air. Or, les ZFE représentent l’un des outils essentiels pour se mettre en conformité avec le droit européen.
Les ZFE, instrument de “ségrégation sociale”
Mais depuis quelques mois, un certain nombre de politiques et de personnalités publiques sont vent debout contre les ZFE, devenues symbole de l’exclusion des automobilistes les plus modestes des centres-villes. Ce discours se retrouve notamment dans la bouche des élus du Rassemblement national et Les Républicains mais également de l’auteur Alexandre Jardin. L’écrivain a notamment lancé, dimanche 6 avril, une vague de contestation partout en France portée par le mouvement “Les Gueux” (titre de son dernier livre, ndlr) et dénonçant cette “ségrégation sociale” institutionnalisée.
Sauf que ces zones aujourd’hui décriées ont “fait l’objet d’une campagne organisée de désinformation qui n’a pour but que de faire monter les tensions dans l’objectif, pour l’extrême droite et une partie de la gauche, de récolter les fruits électoraux de la colère ainsi entretenue”, note Marine Braud, cofondatrice de la société de conseils Alameda Sustainability Advisory et ancienne conseillère écologie d’Élisabeth Borne. Elle vient de publier une note sur le sujet pour le think tank Terra Nova.
Pour Marine Braud, ce ne sont “pas douze millions de personnes touchées, comme le dénoncent les détracteurs des ZFE, mais de cinq à six fois moins”. D’ailleurs, ajoute-t-elle, la très grande majorité des automobilistes du quotidien ne vont en réalité rencontrer “aucune restriction de circulation”, “soit parce que leurs véhicules ne sont pas assez anciens, soit parce qu’ils n’ont pas vocation à se rendre dans les espaces de restrictions, soit parce que la ZFE ne présente aucune interdiction”. En effet, près de la moitié des ZFE actuelles n’interdisent que les véhicules non classés, soit 2 à 3% du parc automobile. A la place d’un abandon pur et simple du dispositif, le think tank appelle donc plutôt à des assouplissements. Il suggère de “supprimer l’interdiction des Crit’air 3 dans les seules agglomérations dépassant les seuils de pollution” et propose aussi d’offrir aux personnes concernées par les restrictions des infrastructure leur permettant de se déplacer autrement.
Bientôt un “Roquelaure de la qualité de l’air”
En attendant le vote des députés prévu ce vendredi, le gouvernement a d’ores et déjà pris les devants et a annoncé vouloir assouplir fortement les ZFE en ne les rendant obligatoires que dans les villes dépassant les seuils réglementaires de qualité de l’air, essentiellement Paris et Lyon. De son côté, la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, refuse de revenir sur cette mesure qui a fait ses preuves. “Autant je me battrai pour lutter contre la pollution de l’air, autant je ne peux accepter que des gens soient assignés à résidence”, a-t-elle déclaré jeudi 3 avril, dans l’émission Ma France.
Mais revenir sur les ZFE, c’est également menacer la santé des habitants de centre-ville. Or les bienfaits des ZFE se font déjà ressentir. Par exemple, en Île-de-France, la mise en place de la nouvelle ZFE au 1ᵉʳ janvier permettrait une baisse de 2,2% des décès prématurés liés à la qualité de l’air, selon l’Observatoire Régional de Santé – Île-de-France, mais aussi une baisse de 5,2% des nouveaux cas d’asthme chez les enfants. Par ailleurs, les données d’Airparif pour l’Ile-de-France montrent que les ZFE ont aussi des effets sur le climat avec une baisse des émissions de CO2 liées au trafic routier de 5%.
Agnès Pannier-Runacher a ainsi annoncé la mise en place, dès le mois d’avril, d’un “Roquelaure de la qualité de l’air”, dont l’objectif est de “repartir des problèmes de santé publique que pose la pollution de l’air et réunir les élus des territoires où la qualité est significativement en deçà des recommandations de l’OMS, pour faire des propositions concrètes en vue d’améliorer les dispositifs existants”.
Une suppression qui pourrait coûter très cher
Au-delà de l’impact sanitaire, la France pourrait bien être perdante économiquement si elle venait à supprimer les ZFE. D’après une note de la Direction générale du Trésor, cela pourrait lui coûter plus de trois milliards d’euros d’aides européennes. En effet, pour le cabinet du ministère de la Transition écologique, ces discussions sur la suppression des ZFE “envoient un signal politique négatif” qui pourrait “remettre en cause les subventions déjà obtenues” pour leur mise en place.
Selon la note du Trésor, que le média Contexte a pu se procurer, cette suppression exposerait aussi le pays “à un risque de remboursement pouvant aller jusqu’à un milliard d’euros”. La Commission européenne pourrait “considérer cette suppression comme une annulation d’engagements, ce qui mettrait en péril les prochains paiements” de l’UE dans le cadre du plan national de relance et de résilience (PNRR) de la France. Ce plan permet à la France de recevoir près de 40 milliards d’euros de subventions européennes jusqu’en 2026, sous certaines conditions, dont celles de mettre en place des ZFE dans 18 agglomérations françaises. Rien qu’en 2025, le pays doit recevoir à ce titre 3,3 milliards d’euros.
Alors que la mesure devait concerner une quarantaine de villes en France, les ZFE sont aujourd’hui au nombre de 25, selon les derniers chiffres du gouvernement.