Des baisses drastiques de rémunération. Entre 2021 et 2024, les livreurs à vélo ont vu leur revenu chuter de 34,2% chez Uber Eats, de 26,6 % chez Stuart et de 22,7% chez Deliveroo – en tenant compte de l’inflation. C’est ce que révèle le dernier relevé de l’ARPE, l’autorité de régulation du secteur. “C’est un aveu d’échec de l’accord signé en 2023 prévoyant que les plateformes versent aux livreurs un revenu minimal horaire de 11,75 euros brut“, a réagi le syndicat Union-Indépendants.
Mi-mars, avant la publication de ces chiffres, les livreurs à vélo avaient organisé une grève dans toute la France pour exiger une augmentation de leur rémunération, celle-ci ne leur permettant pas de “vivre décemment”. “En 2021, je gagnais 916 euros par semaine pour 140 courses ; aujourd’hui, 880 euros pour 164 courses” : à ce train-là, Amandine, livreuse pour Uber Eats en Essonne, compte “arrêter au plus vite”, se désole-t-elle auprès de l’AFP.
Des temps d’attente deux fois plus longs
A cette baisse de revenus, il faut aussi associer des temps d’attente entre deux courses qui s’allongent, de +16,9% chez Deliveroo et de +35,3% chez Uber Eats, entre 2021 et 2024, toujours selon l’ARPE. “Un chauffeur ou un livreur doit désormais rester connecté jusqu’à deux fois plus longtemps pour espérer gagner autant qu’en 2022“, résume Union-Indépendants. En cause, “l’afflux de plus en plus conséquent de chauffeurs” saturant l’offre, selon Fabian Tosolini, d’Union-Indépendants. Il demande “un encadrement strict du nombre de travailleurs”, “la mise en place d’un revenu minimal par course et d’une garantie horokilométrique“, “une transparence et régulation contraignante des algorithmes” ainsi qu’un “véritable dialogue social avec des moyens renforcés pour les représentants des travailleurs”.
Contacté par Novethic, Deliveroo assure se classer “parmi les plateformes les mieux disantes du secteur en matière de rémunération“, avec un revenu moyen par prestation atteignant 5,70 euros en 2024. De son côté, Uber Eats assure avoir “renforcé” les conditions d’activité de ses livreurs. “Cela s’est traduit par la mise en place d’actions concrètes : garantie de revenu horaire 20% supérieure au reste du secteur des plateformes, amélioration du service client dédié, mise en place d’une assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles prise en charge à 100% par Uber Eats”, nous explique un porte-parole.
La situation des livreurs de repas des plateformes a aussi fait l’objet d’un avis de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) fin mars. Il conclut que leurs conditions de travail “marquées par le management algorithmique, la pratique du vélo en milieu urbain et leur statut de travailleur indépendant, ont des répercussions significatives sur leur santé physique et mentale“. En particulier, l’absence de rémunération des temps d’attente, l’opacité des règles d’attribution des courses, l’absence d’interaction humaine et la multiplication des métriques d’évaluation et de sanctions créent une “situation anxiogène” qui pousse les livreurs à “en faire toujours plus” : répondre plus vite aux notifications, livrer plus vite, rester connecté plus longtemps, être connecté aux heures où il y a le plus de demandes (soirs, week-end, jours de mauvais temps).
“En faire toujours plus”
Ces stratégies “d’auto-accélération” les exposent à “un risque d’épuisement physique, cognitif et émotionnel“, ces facteurs favorisant “la survenue de burn-out, de dépression, d’anxiété, d’accidents et de troubles du sommeil – créant un ensemble complexe de défis pour leur équilibre psychologique et psychosomatique“, pointe l’Anses. 26% des livreurs en région parisienne, interrogés par l’IFSTTAR (Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux) disent ainsi avoir déjà subi au moins un accident. On compte en outre 17 morts et 14 blessés graves parmi les livreurs de repas, entre 2019 et 2023. Des données “vraisemblablement sous-estimées”, selon l’Anses.
Ce modèle de plateformisation marquée par l’absence de protection sociale pour ses travailleurs, et une précarisation accrue, entraîne des “conséquences sociales profondes” et “remet en question l’exercice d’un travail décent (adéquation entre les conditions de travail, les normes de sécurité, la rémunération et le bien-être)”, conclut l’organisme. Par ailleurs, “la pratique de la location de compte à des personnes migrantes sans papier par des livreurs en règle sur le territoire français pose des questions éthiques, comme le fait qu’elle puisse s’apparenter à la traite de personnes”, pointe enfin l’avis de l’Anses.
Une directive européenne, adoptée en 2024, doit permettre de mieux protéger les travailleurs des plateformes. Une présomption de relation de travail devra désormais être instaurée par les Etats membres, qui permettra aux travailleurs d’être présumés salariés, notamment en cas de saisine d’un tribunal ou d’une autorité administrative. Pour la première fois, l’UE encadre également l’usage des algorithmes dans la gestion des ressources humaines, et interdit notamment les licenciements automatisés par les algorithmes.