Publié le 21 mars 2025

Patron limogé, mission sociale censurée… Ben & Jerry’s paye cher son engagement RSE et son activisme progressiste, tandis que son actionnaire Unilever prend un virage anti-ESG. Un cas qui illustre la difficulté des entreprises engagées dans un contexte de reculs sociaux et environnementaux.

Ben & Jerry’s est-elle en passe d’être la nouvelle victime du mouvement de backlash contre l’engagement social et environnemental des entreprises ? Le fabricant de glaces, reconnu de longue date pour son activisme politique, social et environnemental en faveur du progressisme, est en tout cas dans la tourmente. Le 3 mars dernier, son actionnaire et maison mère Unilever, a décidé le limogeage du PDG de Ben & Jerry’s, David Stever, ce qui a suscité le dépôt d’une plainte de la part de Ben & Jerry’s devant la cour fédérale de Manhattan. La révocation de David Stever serait, selon un communiqué de Ben & Jerry’s, une violation de l’accord légal entre Unilever et la marque, qui impose de consulter un comité consultatif avant tout changement de gouvernance.

Derrière cette décision se dessine en réalité un conflit qui dure depuis plusieurs mois entre Unilever et Ben & Jerry’s, au sujet notamment des engagements de la marque en matière de responsabilité sociale et environnementale. Ben & Jerry’s argue en effet qu’Unilever “a menacé à plusieurs reprises le personnel de Ben & Jerry’s, y compris son PDG David Stever, s’ils ne se pliaient pas aux demandes d’Unilever visant à faire taire la mission sociale” de la marque.

Désaccord fondamental sur la mission de l’entreprise

Le conflit s’est notamment cristallisé lorsqu’en 2021, le fabricant de glaces, dont la mission sociale est gérée par un comité indépendant, décide de soutenir la cause palestinienne en cessant ses ventes dans les territoires occupés par Israël. Une décision mal accueillie par Unilever, qui choisit alors de céder les activités israéliennes de Ben & Jerry’s à une marque locale. La dispute est alors portée devant les tribunaux, avant qu’un accord à l’amiable soit trouvé. Mais cela n’a pas résolu pour autant le désaccord fondamental entre Ben & Jerry’s et Unilever au sujet de l’engagement social et environnemental de la marque. D’autant plus qu’en 2023, avec l’arrivée à la tête d’Unilever d’Hein Schumacher, le géant néerlandais a fait le choix de réduire la voilure sur ses propres engagements sociaux et environnementaux.

Unilever, pionnier de l’ESG, réduit ses engagements environnementaux et sociaux

En 2024, c’est une véritable guerre de tranchées qui s’engage entre les deux entités au sujet de l’activisme politique de Ben & Jerry’s. En plein bombardements israéliens en Palestine, la marque continue à s’engager pour défendre un cessez-le-feu, malgré les réticences de son actionnaire. Puis avec l’élection de Donald Trump, Ben & Jerry’s a plus que jamais continué à affirmer son activisme progressiste, et a fait partie des rares entreprises à ne pas rester silencieuses face aux régressions sociales et environnementales portées par la nouvelle administration américaine. Des positions qui ne sont pas vraiment du goût d’Unilever, qui aurait tenté de réduire au silence la marque, selon ses représentants. Nouveau dépôt de plainte, le conflit continue.

Désengagement du capitalisme anglo-saxon

La révocation du PDG de Ben & Jerry’s n’est donc que la dernière étape de ce divorce, qui illustre le décalage profond des valeurs partagées avec son actionnaire. Elle est aussi le symbole d’un véritable mouvement de désengagement s’opérant au sein d’une partie du capitalisme anglo-saxon, qui semble en voie d’abandonner progressivement la notion de responsabilité sociale des entreprises. De plus en plus d’entreprises font en effet machine arrière sur leurs engagements en matière de diversité et d’inclusion, ou de transition écologique à la faveur d’un climat “anti-ESG” (environnement, société et gouvernance) porté notamment par certains fonds d’investissement activistes. Le revirement commence d’ailleurs déjà à toucher les filiales européennes de certaines entreprises américaines, à l’image d’Accenture qui a renoncé à ses engagements en matière de diversité il y a quelques semaines.

Comme un symbole, le fonds d’investissement anglais Fundsmith, avait d’ailleurs dénoncé dans le Financial Times “l’obsession” de certaines marques d’Unilever “en matière de durabilité, au détriment de la concentration sur les fondamentaux de l’entreprise…” En d’autres termes, exit la responsabilité sociale, priorité au business. Message reçu semble-t-il par Unilever, qui depuis deux ans maintenant assume son virage idéologique en matière d’engagement social et environnemental.

Quant à la séparation avec Ben & Jerry’s, elle pourrait être actée avant la fin de l’année, le géant de l’agro-alimentaire ayant en effet annoncé la volonté de se séparer de ses activités “glaces”. Les fondateurs de Ben & Jerry’s ont quant à eux déjà évoqué la possibilité de reprendre le contrôle de leur entreprise. Et par la même occasion, de leur mission sociale et environnementale.

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