Publié le 28 janvier 2025

C’est un véritable bras de fer qui pourrait s’engager entre Donald Trump et l’Union européenne. L’objet du conflit : le modèle de régulation économique européen, et notamment ses normes du Green Deal visant à engager la transformation écologique et sociale de l’économie.

Donald Trump va-t-il attaquer l’Europe sur ses réglementations en matière de durabilité ? C’est en tout cas ce que laissent penser les débats qui ont lieu en ce moment aux Etats-Unis autour du cadre réglementaire européen du Green Deal, et plus généralement des normes visant à mieux encadrer l’activité des entreprises opérant en Europe. La directive sur le devoir de vigilance (CS3D) qui impose aux entreprises opérant en Europe de respecter les droits des travailleurs et de l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, est notamment la cible d’attaques de plus en plus fortes, tout comme la CSRD, la directive sur la transparence environnementale et sociale.

Un programme ‘America First’ s’opposera férocement à une Union européenne qui tente d’imposer ses réglementations coûteuses et contraignantes aux entreprises américaines” déclarait ainsi le représentant républicain au Congrès Andy Barr, également membre du Comité de la Chambre des représentants sur les services financiers. Avec d’autres alliés du camp Trump et de grandes entreprises américaines, de plus en plus d’acteurs se mobilisent pour intensifier leur lobbying pour pousser le président américain à faire pression sur l’Europe afin qu’elle dérégule son marché, que ce soit en matière environnementale et sociale ou de régulation des acteurs de la tech.

“Un impact sur la compétitivité des entreprises américaines”

L’offensive avait commencé dès le début de l’année 2024, alors que la Chambre de commerce des Etats-Unis en Europe, qui représente les entreprises américaines installées sur le continent, s’était activée contre la directive sur le reporting de durabilité. Elle demandait notamment à l’Europe de revoir à la baisse ses ambitions de transparence, et de s’aligner sur les normes internationales de l’ISSB (International sustainability standards board), qui, contrairement aux règles européennes n’impose pas un reporting en “double matérialité”, qui prenne en compte les impacts des activités économiques sur les écosystèmes et la société. Tout au long de l’année, la directive sur le devoir de vigilance avait elle aussi suscité une levée de boucliers outre-Atlantique. Au point qu’en décembre dernier, la Chambre de commerce des États-Unis avait mené la charge contre la directive : dans une lettre au Congrès, l’institution fustigeait ainsi le fait que “l’UE impose des mesures réglementaires injustifiées qui ont un impact direct sur la compétitivité des entreprises américaines.”

Elle appelait les décideurs politiques américains à “s’engager directement avec leurs homologues à Bruxelles” pour faire négocier un recul des autorités européennes sur le sujet. Une initiative commune des élus républicains au Sénat et à la Chambre avait aussi il y a quelques semaines intimé aux autorités américaines de faire pression sur Bruxelles sur le devoir de vigilance : “La portée extraterritoriale de la CS3D constitue une grave atteinte à la souveraineté des États-Unis et une menace directe pour la compétitivité mondiale des entreprises américaines”, écrivaient eux aussi la soixantaine d’élus républicains signataires. Dans le même temps, une enquête du Guardian a montré qu’un think-tank libertarien, ultra-conservateur et climatosceptique proche de l’administration Trump, le Heartland Institute, s’activait au Parlement européen pour influencer les députés européens. Objectif : combattre les règlementations sur la durabilité, comme la loi sur la restauration de la nature.

“Les entreprises américaines aussi sont à l’offensive contre la CSRD et contre le devoir de vigilance et le Green Deal. Les Etats-Unis, comme toutes les grandes puissances économiques, ne veulent surtout pas voir l’Europe fixer des normes qualitatives d’accès à son marché intérieur, le plus grand du monde”, commente pour Novethic Pascal Canfin, eurodéputé du groupe Renew. Les entreprises et les décideurs américains craignent en effet que l’Europe, qui est le principal débouché des Etats-Unis avec 17% de leurs exportations, impose progressivement des normes environnementales et sociales aux autres pays du monde grâce à l’extra-territorialité des normes du Green Deal ou de la régulation du secteur de la tech.

Pression pour affaiblir le modèle économique européen

Dans son discours au Forum économique mondial, à Davos, Donald Trump a ainsi violemment critiqué le corpus règlementaire européen, qualifié de “très injuste envers les Etats-Unis, et très mauvais”. “Nous avons de très grosses plaintes à formuler à l’encontre de l’Union Européenne” a ainsi déclaré le président américain, citant notamment les amendes infligées par l’Europe à de grandes entreprises américaines ces derniers mois, au nom du règlement sur la gestion de données privées ou de la lutte contre l’obsolescence programmée. De son côté Elon Musk s’oppose depuis de nombreux mois aux officiels européens, notamment sur la question de la régulation des contenus en ligne, alors que son entreprise, X, a été formellement mise en cause en juillet dernier pour non respect du Digital Security Act européen (DSA) et est donc sous la menace d’une amende de plusieurs milliards d’euros.

Donald Trump, qui vient de mettre fin au Green New Deal américain, qu’il considère comme “un gaspillage incroyable et ridicule”, pourrait donc rapidement engager un bras de fer avec l’Europe sur son propre Green Deal. Une bataille qui mettra au défi l’unité et la fermeté de l’Europe, alors que s’engage une phase de renégociation du cadre réglementaire dans le cadre d’une future législation omnibus ouverte par la Commission européenne. “L’UE risque de se transformer en un suiveur, à la merci d’un président américain imprévisible” analyse Linda Kalcher, directrice du think-tank Strategic Perspectives, si le continent ne trace pas “une ligne claire sur les normes démocratiques, la valeur du multilatéralisme et la création d’alliances avec des pays partageant les mêmes idées pour faire avancer la transition écologique mondiale.” Une chose est sûre, avec une droite et une extrême-droite européennes qui poussent plus que jamais pour détricoter l’encadrement social et écologique des entreprises, la pression des Etats-Unis pourrait contribuer à affaiblir encore le modèle économique que l’Europe a cherché à construire depuis près de dix ans.

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