A peine votée dans la douleur au comité des représentants permanents de l’Union Européenne (UE), la dernière réglementation européenne sur le respect des normes sociales et environnementales par les multinationales est déjà sous le feu des critiques. La directive sur le devoir de vigilance subit ainsi les attaques des principaux représentants des intérêts économiques en Europe, mais aussi en Chine ou aux Etats-Unis. Le secteur privé accuse ainsi la directive sur le devoir de vigilance (CSDDD), qui prévoit de renforcer les obligations des grandes entreprises en matière de respect des droits humains et environnementaux, d’être une entrave à la compétitivité et un fardeau normatif.
BusinessEurope, le principal groupe patronal européen, lobby au service des intérêts des employeurs d’entreprises privées en Europe, estime ainsi que cette loi aurait des “conséquences existentielles” sur les entreprises européennes. Même son de cloche du côté de la fédération allemande des industries, qui a, par la voie de son président Siegfried Russwurm, indiqué que l’adoption de la CSDDD serait “un nouveau revers pour la compétitivité européenne”.
Les critiques du business européen contre le devoir de vigilance
Quant au Medef, il considère le projet de directive comme “une menace réelle” pour la compétitivité des entreprises. Les concessions faites par les Etats membres sur le texte, qui ont dilué significativement la portée de la loi, n’ont pas suffi à rassurer les industriels. Selon Alexandre Saubot, président de France Industries, “ce ne sont pas des retouches de dernière minute qui conduiront à atténuer les dommages de long terme que produirait un tel texte”. Et Markus Beyrer, directeur général de BusinessEurope, d’ajouter : “les PME seraient négativement affectées”, notamment par le poids normatif de la loi.
Le projet de directive sur le devoir de vigilance, voté vendredi 15 mars au Comité des Représentants de l’UE, et confirmé le 19 mars par la commission des affaires juridiques, exclut pourtant explicitement les PME du périmètre de la loi. Par ailleurs, des mécanismes permettant aux PME d’être soutenues par leurs donneurs d’ordre pour la mise en conformité avec le devoir de vigilance ont été intégrés au projet. Près de 70% des entreprises initialement concernées par le devoir de vigilance européen ont finalement été exemptées. Concernant l’impact de la loi sur la compétitivité, des rapports de l’OCDE et de la Commission Européenne ont montré que les entreprises soumises au devoir de vigilance seraient plus résilientes économiquement et mieux préparées à faire face aux risques stratégiques potentiels. Une étude publiée par la Chambre du Travail de Vienne en partenariat avec l’Université de Vienne, évaluait également que la loi sur le devoir de vigilance européen aurait “des effets économiques considérablement positifs sur les pays du Sud et des effets nets positifs sur l’économie européenne”, en renforçant la résilience des chaînes d’approvisionnement et le respect des normes en vigueur.
La Chine et les Etats-Unis contre la CSDDD
La position des entreprises européennes rejoint celle de la chambre de commerce chinoise auprès de l’UE, qui elle aussi s’oppose au devoir de vigilance. Cette dernière s’est ainsi déclarée par communiqué “particulièrement préoccupée par le poids bureaucratique accru et les obligations déséquilibrées, disproportionnées et ambiguës imposées aux entreprises” par la loi sur le devoir de vigilance. Les très grandes entreprises chinoises opérant sur le sol européen pourraient en effet être concernées par de potentielles actions en justice si elles ne respectent pas les normes sociales et environnementales qui s’appliquent aux entreprises européennes, notamment en matière de travail forcé. L’institution a demandé à l’UE de “revenir aux règles de l’Organisation mondiale du commerce” et d’éviter les réglementations qui pourraient entraver les producteurs non européens. Il y a quelques semaines, c’était la Chambre de Commerce des Etats-Unis, qui avait publié un document concernant le devoir de vigilance européen, soulignant ses “inquiétudes quant au fait que la directive pourrait être trop lourde pour les entreprises dans et hors de l’UE, ce qui pourrait entraîner des risques juridiques excessifs.”
Face à ces critiques, certains acteurs économiques ont au contraire défendu la directive, notamment le groupe Business For a Better Tomorrow, une coalition représentant plus de 100 000 entreprises européennes. Côté institutionnel, six agences des Nations Unies, dont le Programme des Nations Unies pour le Développement, l’Unicef ou le Programme des Nations Unies pour l’Environnement ont publiquement soutenu la directive sur le devoir de vigilance. La directive devrait passer devant le parlement européen en plénière mi-avril pour être définitivement validée. En attendant, il se pourrait bien que les lobbies économiques continuent de mettre la pression sur les institutions européennes pour bloquer ce texte, pourtant pierre angulaire du Green Deal européen et de la transition écologique et sociale du continent.