Les professionnels de la RSE inquiets avant une année de tous les dangers
Publié le 17 janvier 2025
“On le sent, le backlash est partout en ce moment”, “si on continue comme l’année dernière, on va dans le mur”, “difficile de rester motivés avec tout ce qu’il se passe”. Ce sont les échos qui résonnaient en ce début d’année lors de la grande soirée des vœux du Collège des directeurs du développement durable (C3D), le 7 janvier. Au sein de l’Atelier des lumières dans l’est parisien, ce sont plusieurs centaines de professionnels de la transformation durable, consultants et responsables de la RSE (Responsabilité sociale des entreprises) qui étaient réunis pour cette soirée habituellement festive. Mais cette année, l’état d’esprit des professionnels du secteur était plutôt à l’inquiétude.
Plus que toute chose, c’est le climat anti-écologique et anti-social qui se répand dans le monde politique et économique qui suscite les craintes des acteurs du secteur. Fabrice Bonnifet, président du C3D fustige notamment ce soir-là le “backlash RSE orchestré par les partisans du “back to basic”, [qui] freine les velléités de transformation“. “Nous entrons dans le moment de vérité de la RSE” lâche-t-il.
La RSE en 2025 : “un pas en avant, deux pas en arrière”
Ce moment de vérité, c’est en particulier celui que traverse l’Europe. Après deux décennies à tenter de faire progresser la régulation du monde économique grâce à des normes sociales et environnementales ambitieuses, voilà que le retour en arrière se profile à Bruxelles. Avec la législation omnibus attendue pour fin février, beaucoup craignent que le Green Deal, et en particulier la CSRD, la directive sur le reporting de durabilité des entreprises, soient remis en cause. “On fait un pas en avant, deux pas en arrière” s’inquiète une consultante. “On aimerait pouvoir faire avance rapide, et se réveiller dans quelques années, quand on aura enfin compris qu’il faut progresser vraiment sur la RSE” ajoute-t-elle. Alors que les professionnels de la durabilité travaillent d’arrache-pied depuis de longs mois pour établir leur rapport CSRD, un outil considéré comme essentiel à la transformation durable, les instances européennes pourraient bientôt tout remettre en cause. Lors des vœux de l’Orse (Observatoire de la responsabilité sociale des entreprises), la présidente de l’organisation Hélène Valade s’alarmait ainsi de l’attitude des dirigeants européens “qui ont fait de la CSRD une monnaie d’échange, provoquant un backlash contre le texte”.
Ce populisme économique, plus que jamais puissant avec l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis et les soubresauts politiques en Europe, créé un véritable contexte d’anxiété dans le milieu de la RSE. “On sent bien qu’il n’y a plus de soutien politique pour les acteurs de la transition écologique et sociale, tout ça passe au second plan” confie un responsable RSE, qui craint que 2025, plus encore que 2024, soit l’année des désillusions. Interrogée dans RSEdatanews, Alexandra Palt, présidente du WWF, ONG de protection environnementale, s’inquiète elle aussi d’un climat de “désengagement décomplexé et affiché de la part de dirigeants d’entreprises” sur les thématiques écologiques et sociales. “Il y a un attentisme qui s’installe chez nos clients, on n’avance plus” s’alarme de son côté une consultante spécialisée, qui travaille avec des entreprises soumises aux réglementations durables européennes. Projets mis en pause, financements réduits, équipes démobilisées : dans les entreprises, la transition écologique et sociale n’a plus le vent en poupe.
“L’armée de l’ombre”
Tous s’interrogent : comment continuer à garder de l’allant, alors que toute la dynamique de progrès écologique et social est en passe de s’effondrer ? Certains responsables RSE tentent, malgré le contexte, d’afficher une certaine forme d’optimisme. L’un deux confie à Novethic sa confiance dans la lame de fond d’une transformation économique globale, sous l’effet des contraintes ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) émergentes : “le train est lancé, tout le monde va y passer… Ceux qui ne feront pas les efforts de durabilité ne pourront plus faire du business dans dix ans de toute manière”. Mais la grande majorité craint des revers législatifs, un recul des budgets dans leurs organisations, et même une forme de greenhushing : ne plus s’engager publiquement, de peur d’être en décalage avec le bruit de fond anti-ESG. Devant ses pairs, Hélène Valade concède : “en 2025, nous allons avoir besoin de solidarité car ça risque d’être compliqué.”
Mike O’Rinel, consultant spécialisé dans la transformation durable, lançait quant à lui lors des vœux du C3D un appel :“nous devons être l’armée de l’ombre, qui doit continuer la lutte, continuer la grande bataille essentielle de la transition.” Une armée de l’ombre qui aura certainement besoin de beaucoup de détermination pour résister face aux reculs de la transformation durable, dans un contexte plus que jamais hostile. D’autres tentent de voir dans cette période charnière une occasion de relancer la transformation durable sur de nouvelles bases, de changer les récits de la transition écologique et sociale. C’est le cas d’Alexandra Palhttps://www.novethic.fr/economie-et-social/transformation-de-leconomie/calendrier-rse-developpement-durable-evenements-salons-2025t. Consciente que les discours portés depuis 20 ans sur l’écologie n’ont pas réussi à mobiliser dans le monde économique, elle lancera prochainement avec le WWF un groupe de travail sur le sujet. Il réunira“des artistes, des personnes venant du militantisme, du monde de l’entreprise, du droit, pour engager une réflexion sur le narratif à construire, et réussir à s’adresser à d’autres groupes que les personnes déjà convaincues.” Et plus que jamais, en 2025, il y aura du monde à convaincre.
