Il est devenu incontournable. Introduit en France il y a un peu plus de dix ans, le Black Friday attire toujours autant les consommateurs qui, dans un contexte inflationniste, sont à la recherche de la bonne affaire. Cette année encore, ils sont 80% à envisager d’effectuer des achats durant cette période, avec un budget moyen de 233 euros. Une participation en hausse de 9 points par rapport à 2023 selon une étude réalisée par le cabinet PwC France.
Difficile, donc, pour les marques de ne pas s’emparer de ce moment commercial. “Désormais, les distributeurs pensent que s’ils ne participent pas à la fête, c’est du chiffre d’affaires qui ira aux concurrents, affirme Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire société et consommation (ObSoCo) auprès d’Alternatives Economiques. Même les enseignes qui ne faisaient jamais de soldes ont fini par lâcher.” S’il est critiqué pour ses impacts environnementaux et sociaux, le concept attire ainsi de plus en plus d’enseignes qui tentent de se positionner en alternatives durables.
Mais promotions à foison et éco-responsabilité sont-elles réellement compatibles ? Au sein des acteurs du made in France, véritables combattants du “consommer moins mais mieux”, le sujet divise. “Le Black Friday est devenu incontournable. Qu’on le veuille ou non, c’est rentré dans les mœurs”, indique à Novethic Charles Huet, président de La carte française, à l’origine des Jours Tricolores. Cette initiative menée par une dizaine d’organisations du made in France, est suivie par plus de 250 marques. Le but, “s’unir sous une bannière commune pour essayer d’émerger face à cette grosse machine.”
“Embarquer le plus de monde possible”
Parmi les entreprises participantes, certaines affirment un boycott ferme du “Vendredi noir” en refusant toute réduction. C’est le cas de 1083, un acteur emblématique du textile français, qui défend un prix juste reflétant le vrai coût des vêtements qu’il produit, et ce tout au long de l’année. “Le Black Friday ? Non merci. Plaisir d’acheter une promotion organisée pour sur-consommer ? Ou plaisir de choisir quand vous voulez, le jeans de votre choix, dans lequel vous résonnez, raisonnez”, scande la marque sur ses réseaux sociaux.
Une majorité des enseignes soutenant les Jours Tricolores proposent néanmoins des promotions, allant jusqu’à 50% de remise. “Le Black Friday ne rentre pas forcément dans la logique de ces marques, concède Charles Huet. Mais depuis un an et demi, le made in France souffre particulièrement.” Ces derniers mois, le secteur rencontre en effet des difficultés. Tandis que le segment du milieu de gamme subit des fermetures en cascade, les géants Shein et Temu voient leur popularité exploser. Dans ce contexte, le made in France peine à trouver sa place, représentant seulement 3% des quantités achetées.
“Les prix barrés demandent des efforts très importants pour ces marques. En unissant nos forces, on tente de porter un message alternatif : les bonnes affaires made in France sont possibles”, explique Charles Huet. Même raisonnement du côté de Slood, une plateforme spécialisée dans les produits made in France et made in Europe, qui propose elle aussi des promotions ce vendredi. “Dans un contexte inflationniste, baisser les prix peut aider à passer le cap de la consommation responsable, commente pour Novethic Julie Le Hir, sa fondatrice. Avec cette opération, nos marques font un effort supplémentaire pour essayer d’embarquer le plus de monde possible sur le made in France.”
“On trompe le consommateur”
Altermundi, l’un des pionniers du marché des produits responsables et fabriqués localement, a quant à lui fait le choix de la sensibilisation. En lieu et place des réductions, l’enseigne propose durant toute la journée des ateliers gratuits à destination des consommateurs pour les aider à “reprendre le pouvoir”. “Les promotions, ça a un coût pour les entreprises. On a choisi de dire non au Black Friday, c’est un acte un peu fort qui devrait être suivi par les marques engagées”, lance Thibaut Ringo, directeur général de l’enseigne.
Altermundi est d’ailleurs l’une des structures fondatrices du mouvement Green Friday qui s’oppose depuis 2017 à l’emballement commercial créé par le Black Friday. Au travers d’une campagne sur les réseaux sociaux, le collectif pointe cette année le véritable coût des fausses promotions sur la planète et l’humain. “A l’origine, les soldes permettaient d’écouler les fins de stock. Elles sont aujourd’hui détournées au nom du pouvoir d’achat, mais si les prix étaient justes toute l’année, on n’en aurait pas besoin, fait valoir Thibaut Ringo. C’est une aberration, on trompe le consommateur.” Selon l’UFC-Que Choisir, le Black Friday permettrait en réalité de ne réaliser que 2% d’économies en moyenne.