C’est la dernière affaire en date qui a agité le monde du commerce de matières premières. Fin mars 2024, Trafigura a finalement accepté de signer une transaction avec le département de la justice américain et de payer une amende d’un montant de 127 millions de dollars. La société suisse spécialisée dans le négoce international de minerais, de métaux ou encore de pétrole était poursuivie par les autorités américaines pour une affaire de corruption au Brésil ayant duré de 2003 à 2014. Elle aurait ainsi payé en tout 19,7 millions de dollars de commissions illégales à des responsables brésiliens afin d’obtenir des contrats sur la fourniture de pétrole.
Cette affaire Trafigura est loin d’être un cas isolé. Quelques jours plus tôt, Gunvor, autre spécialiste suisse du négoce de pétrole, plaidait coupable devant un tribunal fédéral à New York pour avoir versé des pots-de-vin à des responsables équatoriens afin de sécuriser des contrats avec la compagnie pétrolière locale. Le négociant a dû payer près de 662 millions de dollars d’amende, tout en affirmant avoir réussi à réduire le montant en coopérant avec la justice américaine. Vitol, autre géant suisse du négoce, avait aussi été sanctionnée par la justice américaine en 2020 pour des faits de corruption au Brésil, et avait dû verser la somme de 160 millions de dollars.
Des engagements pour améliorer les pratiques
Mais c’est le géant Glencore qui emporte la palme. En 2022, le Suisse a payé la somme record de 1,5 milliard de dollars d’amende aux autorités américaines principalement, mais aussi britanniques. Là encore, le trader était accusé d’avoir versé des pots-de-vin pour obtenir des contrats pétroliers. La justice américaine l’accusait aussi de manipulation des cours du carburant.
Dans chaque cas, la main sur le cœur, les dirigeants de ces grands groupes internationaux jurent qu’on ne les y reprendra plus. “Ces incidents passés ne reflètent pas les valeurs de Trafigura ni la conduite que nous attendons de chaque employé“, déclarait Jeremy Weir, le PDG de Trafigura après avoir signé la transaction avec la justice américaine. Même discours chez Gunvor, dont le président Torbjörn Törnqvist affirme qu’aujourd’hui sa société dispose “d’un programme de conformité que nous nous engageons à améliorer en permanence“.
Lors d’un événement sur les matières premières organisé par le Financial Times au mois d’avril à Lausanne, en Suisse, les dirigeants de ces grandes entreprises de négoce ont ainsi tous déclaré que l’ère des pots-de-vin était terminée. Ils se sont engagés à ne plus avoir recours à des intermédiaires locaux, qui ont longtemps permis de faciliter la corruption. “Il y aura peut-être des affaires que nous n’aurons pas. Qu’il en soit ainsi”, a déclaré Jeremy Weir lors du sommet.
Grande opacité du secteur
Mais cette auto-régulation par les entreprises, sur un thème important de la gouvernance des entreprises, sera-t-elle suffisante ? Le secteur se caractérise en effet par une grande opacité, avec une poignée de géants internationaux, très peu connus du grand public, se partageant des marchés vitaux pour le fonctionnement des économies. Hormis Glencore, elles ne sont pas cotées en Bourse ce qui ne les oblige pas à fournir des informations sur leurs activités. Elles parviennent ainsi à opérer sous les radars et ont fait partie, notamment, des grands gagnants de la crise énergétique suite à la guerre en Ukraine par la Russie en 2022, engrangeant des profits records en 2022 et 2023.
Pour l’ONG Public Eye, il est urgent d’agir pour contrôler ces entreprises. Depuis 2016, elle milite pour la création d’une autorité de surveillance suisse du secteur, pour lutter contre ce qu’elle appelle “la malédiction des matières premières“. Cette autorité, que l’ONG souhaite baptiser la Rhoma, veillerait notamment au respect de la transparence dans les contrats relatifs aux matières premières. L’Institut Rousseau, le groupe de réflexion sur la transition écologique, plaidait aussi pour une régulation des négociants de matières premières en raison de leur poids dans l’économie et du fait que la plupart d’entre elles sont devenues “too big to fail” (trop grande pour les laisser faire faillite). Des appels restés jusque-là sans réponse.