Les constructeurs automobiles européens sont dans le viseur des sénateurs démocrates américains. Après une enquête de deux ans, la commission des finances du Sénat vient de publier un rapport pointant du doigt les pratiques de plusieurs entreprises qui auraient profité du travail forcé des Ouïghours en Chine. Intitulé “Vigilance insuffisante : les constructeurs automobiles complices du travail forcé organisé par le parti communiste chinois”, le rapport cible notamment les Allemands BMW et Volkswagen, et le Britannique Jaguar Land Rover.
“L’équipe de la commission des finances a découvert ce que des entreprises multimilliardaires n’ont apparemment pas réussi à faire : que BMW a importé des voitures, Jaguar Land Rover a importé des pièces et Volkswagen a produit des voitures qui incluent toutes des composants fabriqués par un fournisseur interdit parce qu’il utilise du travail forcé ouïghour“, s’est agacé Roy Wyden, le président de la commission des finances du Sénat, dans un communiqué.
Une liste noire d’entreprises suspectées de recours au travail forcé
Le rapport sénatorial s’appuie sur la loi de 2021 relative à l’interdiction du travail forcé des Ouïghours (Uyghur forced labor prevention act, UFLPA). Elle interdit en effet d’importer des biens sur le sol américain en provenance de la province du Xinjiang et reconnaît l’institutionnalisation du travail forcé de cette minorité musulmane, en proie à la répression du gouvernement depuis de nombreuses années. La loi UFLPA comporte une liste noire d’entités soupçonnées d’avoir recours à du travail forcé et impose aux importateurs d’être vigilants sur leur chaîne de valeur.
“Cette loi a eu de véritables conséquences dans l’économie, avec des changements dans les chaînes de valeur. Il nous a été rapporté à plusieurs reprises que les entreprises concernées avaient fait un effort de traçabilité pour avoir une compréhension plus fine de leurs chaînes de valeur“, analyse Hélène de Rengervé, responsable de plaidoyer chez Human rights watch (HRW). Les constructeurs automobiles ciblés par le rapport semblent cependant avoir un peu trop traîné la patte pour appliquer la loi, selon les sénateurs.
Tous ont intégré des composants électroniques produits par le groupe Sichuan Jingweida Technology (JWD), un fournisseur de troisième rang chinois inscrit sur cette liste. Volkswagen, le premier, a reconnu en janvier 2024 auprès des douanes américaines avoir importé des voitures contenant des composants de JWD. BMW et Jaguar Land Rover ont, en revanche, mis plus de temps à reconnaître les faits, alors que le fournisseur américain qui avait acheté les composants de JWD avait pourtant alerté les constructeurs. Les constructeurs auto avaient par ailleurs déjà été pointés du doigt dans un rapport de HRW pour leur approvisionnement en aluminium issu du travail forcé des Ouïghours.
La réglementation européenne encore dans les cartons
De quoi provoquer la colère des sénateurs américains. Ils dénoncent la faiblesse des systèmes de contrôle interne des constructeurs automobiles, qui reposent principalement sur une cascade de questionnaires dans leur chaîne d’approvisionnement. Ils appellent les autorités américaines à accélérer leur travail d’identification des fournisseurs chinois concernés par le travail des Ouïghours, ainsi qu’à donner des indications plus précises sur la manière dont les entreprises doivent mener leurs investigations dans leur chaîne d’approvisionnement.
En Europe, une réglementation sur le travail forcé est toujours dans les cartons. Approuvée en trilogue en début d’année, puis par le Parlement européen en avril, elle pourrait être adoptée seulement à l’automne 2024. Le texte ne devrait cependant pas constituer un outil aussi puissant que la loi américaine. Il ne comportera pas de liste noire d’entreprises suspectées d’avoir recours au travail forcé, et ne pourra viser que des produits spécifiques pour lesquels il faudra apporter la preuve du travail forcé. Elle complètera cependant la directive sur le devoir de vigilance, qui impose aux entreprises de surveiller le risque d’atteinte aux droits humains et à l’environnement dans leur chaîne de valeur.
Et le temps presse. Selon Human rights watch, la loi américaine sur le travail forcé a eu pour conséquence de créer deux chaînes d’approvisionnement parallèles pour les entreprises : celle pour les Etats-Unis, sans recours aux entreprises sur liste noire, et celle pour le reste du monde dont l’Europe, qui n’est pas aussi stricte.