Le bras de fer continue entre les étudiants de Polytechnique et la direction de la prestigieuse école. Plus de 600 Polytechniciens, alumni et membres du personnel scientifique ont envoyé un courrier au comité exécutif et au conseil d’administration appelant l’école à se transformer “pour agir en vue d’une société juste et respectueuse de l’environnement”. “Les questions sociales et environnementales doivent devenir la colonne vertébrale de l’école pour les années à venir, aussi bien au niveau des formations que de la recherche”, écrivent les signataires dans la lettre que Novethic a pu consulter et qui a été révélée par Libération.
Au-delà de cet appel à une transformation de l’enseignement, ce sont aussi les relations avec des “entreprises impliquées dans des bombes carbones“ qui sont questionnées par les signataires citant notamment TotalEnergies, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société générale et Amundi. Ils demandent au CA d’exclure tous les membres issus de ces entreprises. Parmi eux, justement, Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, qui siège au conseil d’administration de l’école.
Dix jours d’arrêt en raison de leur devoir de réserve
Interrogée par Novethic, la direction de X se dit “assez confiante sur l’issue de ce “dialogue” et ouverte à l’échange mais en revanche”, nous écrit-elle, “nous ne transigerons pas sur l’arrêt de collaborations avec les entreprises citées, qui participent aussi à la transition énergétique et à la souveraineté de la France et de l’Europe”. Une position incompréhensible pour les actuels polytechniciens à l’initiative de la lettre.
“La directrice générale, Laura Chaubard, dit sans cesse qu’elle veut parler avec les élèves, que c’est important, mais la vérité c’est que le dialogue n’avance pas”, dénonce un étudiant préférant rester anonyme. Et pour cause, les Polytechniciens sont soumis à un devoir de réserve, et leur mobilisation peut avoir des effets sur leur cursus. En octobre dernier, plusieurs d’entre eux avaient ainsi organisé une opération visant à dénoncer les liens entre X et des entreprises fossiles lors du X-Forum. Cette intervention a valu aux élèves officiers une sanction de “dix jours d’arrêt en raison de leur devoir de réserve”, nous confirme Polytechnique. Un symbole des relations tendues entre les parties prenantes qui suscite le débat chez les anciens élèves.
Débat chez les alumni
Sur LinkedIn, Guillaume Autier, PDG du groupe Meilleurtaux écrit : “Ce courrier est tout ce que je déteste”. Et de poursuivre : “Il fut un temps où, à l’Ecole Polytechnique était enseignée la méthode scientifique, basée sur le raisonnement rigoureux, le doute et l’exploration”. Interpellant par ailleurs Jean-Marc Jancovici, ancien Polytechnicien et expert climat très médiatique, ce dernier répond : “Si leur demande est abrupte, le contexte l’est aussi et leur avenir s’annonce moins tranquille que notre passé”, écrit-il. “Qu’ils s’impatientent de l’absence d’action dans les bons ordres de grandeur de leurs aînés n’est pas vraiment illégitime (c’est nous qui avons le pouvoir, pas eux), et il ne faut pas leur demander une solution qu’ils ont eu 20 à 30 ans de moins que nous pour concevoir.”
Ce débat s’inscrit dans un contexte particulier ces dernières années avec, en 2018, le lancement du manifeste Pour un réveil écologique – rassemblant des étudiants de plus de 400 établissements de l’enseignement supérieur, dont des élèves de X, poussant leur école à changer de modèle. En janvier 2022, après avoir fait face à la fronde des élèves et de plusieurs ONG, TotalEnergies avait également renoncé à s’installer sur le campus de Polytechnique. Alors que le groupe avait prévu d’installer un centre d’innovation et de recherche dédié aux énergies bas-carbone (renouvelables, batteries, nouvelles mobilités) au cœur du campus de l’École Polytechnique, les réfractaires dénonçaient une stratégie d’influence de la major sur “les cerveaux des futurs cadres de la nation”.
Patrick Pouyanné est par ailleurs actuellement visé par une plainte pour prise illégale d’intérêts dans le cadre de cette tentative d’implantation. En juin 2022, lors de la cérémonie de remise de diplôme, alors qu’une vidéo de félicitations de Patrick Pouyanné était diffusée dans l’amphithéâtre, une partie des élèves avait tourné le dos et sifflé leur parrain. Une rébellion de taille pour celles et ceux qui constituent les futures élites du pays.