La fast-fashion s’envole et son empreinte carbone aussi. Déjà critiquée pour son modèle basé sur la surconsommation, ses impacts sociaux et la toxicité de certains de ses produits, elle est également pointée du doigt pour son usage exponentiel du fret aérien. Une pratique qui permet aux deux nouveaux géants de l’e-commerce de réduire leurs délais de livraison entre la Chine, où sont conçus et produits les articles dans un temps record, et le reste du monde : de cinq à six semaines en bateau, l’expédition des colis est réduite à seulement quelques jours par les airs.
Résultat, alors que les marques d’ultra fast-fashion chinoises gagnent progressivement des parts de marché en Europe et aux Etats-Unis, la demande explose depuis mi-2023, allant jusqu’à “bouleverser l’industrie mondiale du fret aérien” rapporte Reuters dans une enquête. Si le phénomène n’est pas nouveau, il est en effet en forte croissance confirme Géraldine Viret, porte-parole de l’association Public Eye à l’origine d’un rapport publié en novembre 2023 sur le sujet. “Cela répond à la stratégie qui est au cœur de la fast-fashion : produire toujours plus et toujours plus vite”, explique à Novethic la spécialiste.
14 fois plus polluant
Selon les chiffres collectés par Reuters auprès de l’organisme Cargo Facts Consulting, Shein expédierait ainsi près de 5 000 tonnes de produits par jour, tandis que Temu transporterait quotidiennement 4 000 tonnes de marchandises par les airs. Dans son rapport, Public Eye souligne par ailleurs l’existence depuis juillet 2022 d’un “partenariat stratégique” entre Shein et China Southern Airlines. En coopérant avec l’une des plus grandes compagnies aériennes chinoises, Shein a obtenu ces derniers mois de plus grandes capacités de vol entre Guangzhou, Los Angeles, Londres ou encore Amsterdam.
Le phénomène est tel que la fast-fashion affréterait aujourd’hui un tiers des avions-cargos longue distance mondiaux. Augmentation des coûts, tensions voire pénuries de capacités… “La plus grande tendance actuelle dans le secteur du fret aérien ne vient pas de la mer Rouge, mais des entreprises chinoises de e-commerce telles que Shein ou Temu”, souligne auprès de Reuters Basile Ricard, directeur des opérations pour la Chine au sein de Bolloré Logistics. Contacté par Novethic, Shein affirme “optimiser continuellement ses efforts pour garantir la meilleure expérience client et l’efficacité de l’exécution” via “notamment l’amélioration de ses centres logistiques en Pologne et en Italie”. Sans infirmer les données dévoilées par Reuters, la marque assure également renforcer “le développement de son réseau de fournisseurs en Turquie afin de raccourcir la distance jusqu’aux consommateurs et réduire les délais de livraison.”
Côté environnemental, le fret aérien représente le mode de transport le plus polluant. Si la production des matières premières et la confection des vêtements représentent la source la plus importante d’émissions de gaz à effet de serre de l’industrie textile, la part des transports augmente largement lorsque le fret aérien est privilégié. “En moyenne, la part des transports est de 3% dans le secteur, mais avec le “mode avion”, elle atteint 8 à 10% de l’empreinte totale”, souligne Géraldine Viret. Selon les auteurs du rapport publié par Public Eye, l’impact carbone d’un produit expédié par les airs serait alors 14 fois plus important qu’un vêtement transporté par bateau.
20 vols quotidiens en Europe
Une pratique néfaste pour le climat, donc, à laquelle l’Europe n’échappe pas non plus. Si le fret aérien ne permet pas de réduire considérablement les délais d’expédition au sein du territoire européen, il reste un mode de transport largement utilisé par les entreprises qui y sont implantées. En 2022, ce sont 700 000 tonnes de vêtements qui auraient transité par les airs dans l’Union européenne d’après Public Eye. Un volume équivalent à une vingtaine de vols quotidiens. Parmi les marques majoritairement concernées, on retrouve en première place Inditex, empire du textile propriétaire de Zara, Bershka ou encore Stradivarius.
Contrairement à Shein qui envoie directement les produits à ses clients par courrier aérien, le géant espagnol centralise le stockage et l’expédition de ses produits dans la région de Saragosse, au nord-est du pays. Chaque semaine, il affrète depuis ce centre logistique 32 avions pour distribuer les vêtements dans ses boutiques du monde entier. Pourtant, “si le recours à l’avion n’est pas l’aspect le plus dramatique de la fast-fashion, c’est le plus illogique”, fait valoir Géraldine Viret. “Les vêtements ne sont pas des denrées périssables ou des produits sensibles. Rien ne justifie cela”.
Contactés par Novethic, Temu et Inditex n’ont à ce jour pas répondu à nos demandes.