Publié le 23 juillet 2023
Les coureurs du Tour de France s’apprêtent à déferler ce dimanche 23 juillet sur les mythiques Champs-Elysées, sous une météo capricieuse. Mais cela n’a pas été le cas sur toutes les étapes de cette 110e édition. Il a fait très chaud. Et il le fera de plus en plus dans les années à venir en raison du changement climatique. Alors cette compétition chère aux Français pourra-t-elle se tenir encore bien longtemps au mois de juillet ?

52°C ressentis. Mardi 11 juillet, la chaleur était accablante à 17 heures, lorsque les premiers coureurs du Tour de France ont franchi la ligne d’arrivée, à Issoire (Puy-de-Dôme). Pendant plus de 167 kilomètres, le peloton a souffert. D’ailleurs, Météo-France avait placé ce jour-là le département en vigilance jaune canicule et en vigilance orange pour les orages.
"La marmite a surchauffé, le couvercle avait déjà sauté donc je savais que ça allait être de la survie". C’est en ces termes que le leader de l’équipe DSM-Firmenich, Romain Bardet, a justifié sa contre-performance. Quatre jours plus tard, le Français était contraint à l’abandon après une lourde chute. Tour après tour, étape après étape, les températures extrêmes et les aléas climatiques mettent à rude épreuve les cyclistes. Et cela ne risque pas de s’améliorer alors que le changement climatique s’intensifie.

Déjà +10°C sur les routes du Tour


Alors que ce mois de juillet est en passe de "devenir le plus chaud jamais mesuré" selon l’observatoire européen Copernicus, il deviendra peut-être à l’avenir le mois de juillet le plus frais que nous connaîtrons.  Et déjà, les températures moyennes enregistrées sur le revêtement des routes empruntées par le peloton ont grimpé de 10°C en moyenne depuis une vingtaine d’années, d’après les données collectées par le coordinateur des Départements de France, André Bancalà. Elles sont ainsi passées de 29,6 à 40,1°C entre 1999 et 2021.
Lors de la suffocante étape du 11 juillet, 60°C ont été mesurés au sol à une trentaine de kilomètres de l’arrivée au sommet du Puy-de-Dôme. Un chiffre affolant qui s’inscrit directement dans le top5 du "Monsieur Route" du Tour, à quelques unités seulement du record absolu : 63°C enregistrés dans la station des Rousses en 2010. Or ces pics de chaleur mettent à rude épreuve l’asphalte, le transformant en véritable patinoire. Obligeant les autorités à déverser des litres d’eau alors que le pays est déjà à sec… En 2022, 200 mètres de routes ont été arrosées avec 500 litres d’eau.

Un corps soumis à rude épreuve


Pour les cyclistes, le danger est double. La chaleur altère leur performance mais aussi leur santé. Dans un rapport publié en 2021 évaluant l’impact du dérèglement climatique sur la pratique sportive, il est rappelé qu’au-delà d’une température extérieure de 32°C, la santé des sportifs professionnels et amateurs est potentiellement mise en danger. D’ailleurs, le directeur technique de la Fédération française de cyclisme y indique qu’"on observe forcément des conséquences physiologiques : performance amoindrie, peloton plus étiré, fatigues extrêmes pouvant amener jusqu’au malaise".
Selon Jean-François Toussaint, directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (IRMES), interviewé par Novethic, "il n’y a pas de seuil physiologique contraignant pour la pratique sportive en soi : il y a une continuité du risque à mesure qu’on s’éloigne des températures de confort". Ainsi, le seuil physiologique dépend de l’effort demandé par la pratique, ainsi que de l’entraînement de chaque coureur. Pour l’heure, aucun coureur n’est mort de la chaleur, "par contre, elle peut faire perdre en vitesse de réaction et perception du risque, précise le professeur, mais nous ne sommes pas en mesure de dire si cela a contribué aux grandes chutes ou aux décès de certains coureurs".
"Les coureurs du Tour ont l’habitude de ces fortes chaleurs, ils s’adaptent", tranche Florence Pommerie, médecin en chef du Tour de France depuis 2010. "Et contrairement à d’autres sports, les cyclistes ont la chance de rouler, ils ont donc une ventilation intégrée". Sur le terrain pourtant, de plus en plus de coureurs se plaignent de ces chaleurs extrêmes. "J’ai pris un coup de chaud (…) j’ai vraiment senti la chaleur qui m’envahissait et j’ai dû ralentir", avait rapporté Romain Bardet après la montée de l’Alpe d’Huez l’année passée. Idem pour Thibaut Pinot pour qui "c’était une fournaise".

Vers un aménagement du Tour ?


Le directeur sportif de l’équipe Groupama-FDJ et chercheur en science du sport, Frédéric Grappe, s’est dès lors interrogé récemment sur l’avenir de la course : "Est-ce-que ça a encore du sens de demander à des athlètes de faire un tel effort sous le cagnard ?" Dans un entretien au Huffpost, il a demandé aux organisateurs de revoir le calendrier des courses, voire d’"interdire plus fréquemment les compétitions sous certaines conditions".
Mais ce n’est pas si simple. Thomas Cariou, le directeur RSE d’ASO, entreprise organisatrice, a conscience que la Grande Boucle en tant que "compétition itinérante et hors stade", est impacté par le changement climatique et ses événements extrêmes. "Mais nous ne sommes pas aujourd’hui dans une remise en cause de la date du Tour de France qui est solidement ancré au mois de juillet, explique-t-il à Novethic. D’ailleurs, d’autres courses comme la Vuelta en Espagne ou le Tour Down Under en Australie, se courent sous des températures beaucoup plus chaudes".
Un "déni" que regrette le professeur Jean-François Toussaint, mais qui ne se limite pas au Tour de France. "Toute la société s’obstine aujourd’hui à maintenir son mode de vie et ses activités malgré les bouleversements climatiques auxquels nous assistons. Pourtant à la vitesse où les choses évoluent, nous devrons revoir notre copie, soit de manière volontaire soit par obligation…", prévient-il.
Blandine Garot

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