Miroirs spatiaux, injection de particules de soufre dans la stratosphère, éclaircissement des nuages marins… ces solutions qui rentrent dans la famille de la géo-ingénierie solaire (ou modification du rayonnement solaire, MRS) et qui visent à faire baisser la température sur Terre ont été remises en haut de l’agenda climatique en 2023. En effet, à mesure que nous approchons du seuil des 1,5°C de réchauffement, la tentation est grande de considérer désormais comme "acceptable" ce qui relevait jusqu’alors de l’"apprenti sorcier".
Un rapport, publié en septembre dernier et passé relativement inaperçu, a jeté un pavé dans la mare. Issu de la Climate overshoot commission (COC), un groupe indépendant composé d’une douzaine d’anciens dirigeants des pays du Nord et du Sud créé en 2022 pour réfléchir à ce qu’il faudra faire en cas de dépassement (overshoot), il appelle à intensifier la recherche sur la modification du rayonnement solaire tout en recommandant la mise en place d’un moratoire pour les expériences à grande échelle en plein air.
"Nous n’avons pas le luxe de ne pas regarder cette option"
Contacté par Novethic, le président de la Climate overshoot commission, Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, assume la polémique provoquée par la publication du rapport. "Le principe philosophique qui nous guide est d’accepter de regarder cette option, qui n’arrive qu’en dernier ressort, la hiérarchie est très claire. Et si nous acceptons de soulever cette pierre, c’est que le changement climatique est tel qu’il est indispensable de réexaminer l’ensemble des solutions. Nous n’avons pas le luxe de ne pas le faire", poursuit-il.
Sans surprise, la publication du rapport a entraîné son lot de réactions indignées. "En développant la recherche, l’idée de la géo-ingénierie solaire devient de plus en plus normalisée, tout en détournant l’attention de la véritable atténuation du climat", a ainsi déclaré Ben Sanderson, climatologue au CICERO (Centre de recherche internationale sur le climat et l’environnement). La Commission a été critiquée par ses propres participants, notamment par le groupe représentant les jeunes, en raison de l’accent mis sur la géo-ingénierie solaire comme option légitime. Laurence Tubiana, également membre de la COC, semble elle aussi prendre ses distances. "Nous connaissons les risques : ce n’est pas une solution miracle", a-t-elle déclaré à l’AFP.
The Climate Overshoot Commission, an independent high-level political group, launched its report on potential approaches to address overshoot
Our main takeaway: climate change impacts the most vulnerable & equitably accelerating deep emissions cuts remains the utmost priority 1/5
— Laurence Tubiana (@LaurenceTubiana) September 14, 2023
Assécher l’Amazonie ou perturber les moussons
Plusieurs techniques pour renvoyer le rayonnement solaire font l’objet de controverses sur leur efficacité et leurs dangers potentiels. C’est le cas plus spécifique de l’injection d’aérosols dans la stratosphère qui vise à imiter les effets des éruptions volcaniques. En 1991, l’éruption du mont Pinatubo aux Philippines avait rejeté des millions de tonnes de poussières et fait baisser les températures mondiales pendant environ un an.
"La modification intentionnelle des rayonnements solaires pourrait assécher l’Amazonie et perturber le régime des moussons en Asie et dans l’ouest de l’Afrique, détruisant les cultures dont des centaines de millions de personnes dépendent, selon des études déjà publiées", avertissaient 450 chercheurs dont en France Jean Jouzel et Hervé Le Treut, dans une lettre ouverte publiée en janvier 2022.
"Un autre risque commun à l’ensemble de ces techniques est celui du choc terminal : si l’une de ces techniques était déployée en l’absence d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’interruption de cette technique causerait un réchauffement bien trop rapide pour que les systèmes naturels et humains puissent s’y adapter", prévient aussi l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris) dans une note de novembre dernier, où elle relève près de 70 projets de recherche et/ou d’expérimentations dans le monde.
"Déclencher des conflits"
Outre ses effets physiques, la géo-ingénierie solaire aurait aussi des répercussions géopolitiques. "Elle pourrait aggraver les déséquilibres de pouvoir entre les nations, déclencher des conflits et soulever une myriade de problèmes éthiques, juridiques, de gouvernance", s’alarmait l’exécutif européen dans un avis rendu en juin dernier. Bruxelles se dit ainsi prêt à soutenir des efforts de coopération internationale pour "évaluer de façon exhaustive les risques" et discuter d’un éventuel cadre à l’échelle du globe.
En mars dernier, la MIT Technology Review avait révélé une nouvelle expérience de géoingénierie solaire au Royaume-Uni. Elle avait consisté à lâcher un ballon rempli de dioxyde de soufre dans la stratosphère. La start-up américaine Make Sunsets souhaite commercialiser l’injection d’aérosols stratosphérique sous la forme de "crédits de refroidissement" (cooling credits), permettant le financement des aérosols par des particuliers. Face à la multiplication de ces expériences, l’urgence est donc d’instaurer une gouvernance mondiale sur le sujet.
"Les nations peuvent avoir des idées différentes sur ce qui constitue une température mondiale optimale, ce qui pourrait entraîner des conflits. C’est comme si les gens se battaient pour le thermostat d’une maison, mais à l’échelle mondiale", résume Brendan Clark, auteur principal d’une étude sur l’injection de soufre dans l’atmosphère, publiée dans la revue Nature food, en octobre dernier. Celle-ci montre qu’aucun des scénarios étudiés ne profiterait à tout le monde et qu’il y aurait de nombreux perdants.
Concepcion Alvarez