Le compte à rebours est lancé avant l’entrée en vigueur du devoir de vigilance européen. Adoptée en avril dernier et publiée officiellement il y a quelques jours, la directive sur le devoir de vigilance européen (CSDDD) va progressivement contraindre les grandes entreprises européennes ou opérant en Europe à mieux respecter les droits humains et environnementaux sur l’ensemble de leurs chaînes de production.
D’ici là, le travail de mise en conformité s’annonce gigantesque, tant les grandes entreprises sont en retard sur leur devoir de vigilance. C’est en tout cas ce que révèle une analyse publiée par le World Benchmarking Alliance (WBA) il y a quelques jours. L’organisation a ainsi analysé la manière dont les 2000 entreprises mondiales les plus importantes agissent pour le respect des droits humains, le travail décent ou encore le respect des normes éthiques, et le constat est sans appel. 80% des entreprises obtiennent un score de 0 en matière de mise en œuvre du devoir de vigilance sur les droits humains.
Aucune entreprise en conformité
Les chiffres, qualifiés d’“alarmants” par la WBA, sont éloquents : 90% des entreprises évaluées n’ont même pas mis en place la moitié des mesures qui leur permettraient de répondre aux attentes fondamentales du devoir de vigilance en matière de droits humains. Plus d’un tiers obtiennent une note inférieure à 2/20 lorsque l’on regarde la manière dont elles prennent en compte les enjeux des conditions de travail ou des pratiques éthiques. Concrètement, le rapport note le “décalage” entre les allégations des entreprises en matière de droits humains et leurs pratiques réelles. Par exemple, si 60% des entreprises communiquent sur leur politique en matière de “salaires décents”, elles ne sont que 4% à payer leurs travailleurs un salaire minimum correspondant aux normes internationales ou à s’y être formellement engagées.
Pour Richard Gardiner, directeur des politiques européennes à la World Benchmarking Alliance, “cela signifie qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour améliorer les compétences des entreprises afin qu’elles répondent aux exigences de la CSDDD d’ici 2027.” Les entreprises soumises à la réglementation sur le devoir de vigilance vont ainsi devoir faire évoluer leurs pratiques sur de nombreuses thématiques : moins de 5% garantissent aujourd’hui des horaires de travail décents sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, moins de 10% ont établi des procédures pour dialoguer avec les parties prenantes affectées par leurs activités… Les experts de la WBA pointent aussi du doigt les pratiques de lobbying des entreprises, et dénoncent “le décalage entre leurs activités d’influence politique et leurs engagements en matière de droits humains”, alors que moins de 5% d’entre elles rendent publiques leurs dépenses de plaidoyer.
Les entreprises françaises à la traîne
Même parmi les entreprises les plus avancées, aucune n’est réellement en conformité en matière de droits humains. A peine une quinzaine d’entreprises obtiennent entre 15 et 15,5/20 (la plus haute note du panel) : EDP, Glencore, Unilever, Yara, Anglo American, Eni, Hershey, L’Oréal, Nestlé, Newmont, Norsk Hydro, Repsol, Teck Ressources et VF Corporation. Parmi les entreprises françaises étudiées, moins de 20 obtiennent la moyenne, parmi lesquelles EDF, Schneider Electric, Aviva, Veolia ou encore Carrefour. Quant au secteur financier, il est particulièrement en retard, puisque 90% des entreprises financières n’ont même pas commencé à mettre en place la moindre mesure de vigilance en matière de droits humains.
“Il est urgent que la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le nouveau Parlement européen accordent la priorité à l’élaboration de lignes directrices indispensables pour aider les entreprises [à] remplir leurs obligations de vigilance”, analyse Richard Gardiner face à ce retard global. Un chantier qui devrait longuement occuper les institutions européennes et les grandes entreprises pour les trois ans à venir.