Publié le 27 avril 2024

Tant pis pour l’urgence climatique. JP Morgan estime que la transition énergétique prendra encore des décennies, étant donné son coût. Dans un rapport sur l’énergie, la banque américaine incite ses clients à un “retour à la réalité”, alors que des observateurs font une toute autre analyse de la situation. Chaque semaine, Novethic propose un billet LinkedIn qu’il ne fallait pas manquer.

La transition vers les énergies renouvelables va coûter trop cher. Dès lors, elle ne pourra pas se faire dans les temps, alerte la banque JP Morgan. Dans un rapport sur les perspectives du marché de l’énergie adressé à ses clients, les économistes de la banque expliquent que la montée de l’inflation, les crises géopolitiques ou encore l’augmentation des taux d’intérêt rendent la sortie des énergies fossiles de plus en plus chère, ce qui met une pression critique sur les gouvernements endettés. Conclusion du rapport : il faut revenir à la réalité.

Dans un article du Financial Times, Christyan Malek, le directeur de la stratégie énergie de JP Morgan, explique : “alors que les objectifs de neutralité carbone sont encore loin, nous devons nous confronter à la réalité que les variables ont changé“. Il ajoute que “les 3 000 à 4 000 milliards de dollars que la transition coûtera chaque année arrivent dans un environnement macroéconomique très différent“. En clair, de nombreux gouvernements et entreprises vont reculer sur leurs engagements, incapables de faire face à ces coûts. Dès lors, le rapport estime que la transition hors des énergies fossiles devrait plutôt se mesurer en décennies ou en générations, pas en années.

Conclusions erronées

Oubliées les cibles de 2030, puis 2050, pour atteindre la neutralité climatique, oubliée l’urgence à agir dans les dix prochaines années pour tenter de contenir le réchauffement à 1,5°C. La banque américaine, pragmatique, estime que ce ne sera pas possible. “Bien que les arguments économiques sont compréhensibles, je soutiens que les conclusions de l’auteur sont erronées“, s’emporte sur LinkedIn Hans Stegeman, l’économiste en chef de la banque néerlandaise Triodos.

Il admet que la transition peut prendre du retard. Transformer un système énergétique complet peut en effet prendre des décennies. Les investissements annuels nécessaires pour financer cette transformation sont d’une ampleur jamais égalée auparavant. Les finances publiques de la plupart des Etats sont contraintes par des niveaux de dette élevés et la finance privée devient frileuse face aux taux d’intérêt. Enfin, la transition nécessite de construire de nouvelles infrastructures, donc de dépenser de l’énergie (souvent très carbonée) et de faire appel à des ressources en métal et en minerais importantes.

La conclusion de JP Morgan consiste à “changer les priorités“, rappelle Hans Stegeman, soulignant que l’Ecosse venait justement de le faire en déclarant abandonner sa cible de réduction de ses émissions pour 2030 car inaccessible. “C’est une conclusion tout à fait fausse“, martèle le chef économiste. Selon lui, le rapport de JP Morgan omet des éléments importants qui permettent pourtant de dépeindre la situation de toute autre manière.

Le coût de l’inaction climatique

Le premier, c’est que ce n’est pas le marché qui pousse à cette transition, mais l’urgence climatique, ce qui en soi devrait accélérer la transformation. Le rapport JP Morgan ne traite pas non plus de la possibilité de réduire la demande d’énergie, par des politiques de sobriété ou d’efficacité énergétique. Surtout, Hans Stegeman rappelle que “les coûts d’un retard de la transition énergétique sont bien plus élevés pour l’économie globale“.

Il cite une étude de chercheurs allemands de l’Institut de recherche sur l’impact climatique publiée dans Nature qui montre que le coût de l’inaction est six fois plus élevé que les montants d’investissements nécessaires pour assurer la transition écologique. En amont de la COP28, l’université du Delaware avait quant à elle quantifié la perte de PIB engendrée par le changement climatique, qui se montait à 6,3% du PIB mondial pour l’année 2022, avec toutefois de fortes disparités selon les pays.

Après le retour à la réalité de la transition énergétique fait par JP Morgan, le chef économiste de Triodos se livre donc à un deuxième retour à la réalité ! La question, au final, n’est pas de savoir si les conditions macroéconomiques actuelles rendent la transition énergétique trop coûteuse, mais de savoir s’il est possible d’éviter ces investissements. Hans Stegeman pose la question : “si le marché ne parvient pas à prendre en compte les risques pertinents, qui supportera les pertes financières ?”

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