Publié le 9 septembre 2024

L’Etat vient d’abandonner le lancement du dernier grand projet de barrage hydroélectrique qui devait voir le jour sur le Rhône. Il entrerait en collusion avec la construction de deux nouveaux EPR2 à la centrale nucléaire du Bugey. Pour Les Ecologistes de la région, qui s’opposaient aux deux projets, c’est donc une victoire amère.

L’avenir de l’hydroélectricité en France est-il en péril ? L’Etat vient en tout cas d’abandonner le dernier grand projet de barrage hydroélectrique à l’étude depuis 2022, mais dans les cartons depuis 1935. Situé au niveau de la confluence du Rhône et de l’Ain, à une quarantaine de kilomètres en amont de Lyon, le projet baptisé “Rhônergia” devait produire 140 gigawattheures par an, soit l’équivalent des besoins énergétiques d’environ 60 000 habitants, pour un coût estimé de 330 millions d’euros.

Mais il faisait l’objet de vives contestations car il devait être construit sur le dernier tronçon sauvage du fleuve, qui compte parmi les plus artificialisés d’Europe avec déjà 20 barrages hydroélectriques. “C’est grâce à la mobilisation de toutes et tous que nous avons remporté cette victoire. Celle-ci représente maintenant un espoir pour toutes les personnes en lutte contre les grands projets inutiles et imposés dans notre pays”, réagit Maxime Meyer, conseiller régional de l’Ain et coprésident du groupe des Écologistes de la région Auvergne Rhône-Alpes.

Priorité aux nouveaux réacteurs

Si la mobilisation a certes été exceptionnelle lors du débat public mené plus tôt dans l’année, c’est un autre argument qui aurait primé dans la décision de l’Etat. Celui-ci explique en effet l’abandon du projet de barrage par l’existence de “risques techniques sur le projet EPR2 de Bugey”. Il faut dire que depuis le moment où l’Etat a missionné la Compagnie nationale du Rhône (CNR) pour étudier la faisabilité d’un nouveau barrage sur le Rhône, les orientations énergétiques de la France ont changé de cap. En février 2022, dans son discours de Belfort, le président de la République a ainsi acté la renaissance du nucléaire et annoncé la construction d’au moins six nouveaux EPR2. Puis en juillet 2023, le gouvernement a dévoilé que la 3e paire d’EPR2 serait construite dans la centrale du Bugey, à quelques kilomètres à peine du projet “Rhônergia”.

L’Etat explique ainsi que le projet Rhônergia aurait pu “conduire à une augmentation des coûts et un retard de calendrier” pour la construction des deux EPR2. Selon le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle, cité par France Bleu Isère, des études ont également montré qu’un barrage aussi proche de l’actuelle centrale nucléaire pouvait avoir un impact sur “la démonstration de sûreté nucléaire et entraîner une baisse de la production d’électricité. Entre l’hydroélectricité et le nucléaire, l’Etat a donc choisi le second, les deux nouveaux réacteurs devant produire 1 670 mégawatts d’électricité chacun, contre 40 mégawatts pour le barrage Rhônergia.

“Je trouve cette décision surprenante quand on en est déjà au stade de l’enquête publique et que plusieurs millions d’euros ont été dépensés en études. J’ai le sentiment qu’on revient aux années 80 avec la défense du tout nucléaire. Mais selon moi, les deux projets n’étaient pas incompatibles. Il fallait les mener tous les deux afin d’assurer notre souveraineté énergétique”, explique à Novethic Jean-François Bansard, Président-Fondateur de HCE (Hydroélectricité Conseils Expertises) et expert de la petite et moyenne hydroélectricité. Il déplore par ailleurs l’image de plus en plus controversée de l’énergie hydroélectrique, qui fait l’objet de nombreuses contestations et de recours juridiques dans les territoires.

Le débit du Rhône en baisse de 30 à 50%

L’hydroélectricité est la deuxième source de production électrique en France derrière le nucléaire et la première source d’électricité renouvelable. Elle a l’avantage d’être plus facilement pilotable que d’autres énergies et permet aussi de stocker l’électricité. En moyenne, elle couvre 12% de la consommation d’électricité et jusqu’à plus de 25% lors des pics de consommation, selon France Hydro Electricité. La filière pourrait produire 20% de plus, en optimisant les installations existantes ou en en créant de nouvelles, plutôt de petites ou moyenne taille, la CNR estimant que “Rhônergia” était le dernier projet de cette nature envisageable en France.

Mais sur le terrain, tout comme pour les éoliennes, ou dans une moindre mesure, le solaire, les critiques sont nombreuses. “L’hydroélectricité n’est pas du tout une énergie verte malgré ce qu’on cherche à nous faire croire. Derrière un barrage, c’est tout un écosystème qui est dévasté”, déplore auprès de Novethic Clément Pradier, du collectif “Stop au barrage” qui s’est mobilisé contre le projet Rhônergia. “Le rapport bénéfices-impacts est largement défavorable en termes de tension sur la ressource en eau. L’ouvrage devrait être mis en service en 2033 et avec le réchauffement climatique, la fonte des glaciers sera bien entamée. Les climatologues prévoient une disparition des glaciers des Alpes d’ici 2080, et le Rhône ne sera plus alimenté par ce réservoir naturel”, abonde-t-il.

Un argument repris par les élus écologistes de la région Auvergne Rhône-Alpes … contre la construction des deux nouveaux EPR le long du Rhône. “Alors que l’ensemble des études scientifiques sur le climat confirment une baisse de 30% à 50% du débit du Rhône d’ici à 2050, les écologistes rappellent qu’un seul EPR nécessite autant d’eau que 1,6 millions d’habitants, soit la population de la Métropole de Lyon”, tancent-ils. La question n’est donc peut-être pas de savoir s’il faut construire un nouveau barrage ou deux nouveaux réacteurs, mais bien d’anticiper les effets à venir du changement climatique. Et pourquoi pas d’interroger notre consommation future et nos modes de vie appelés à devenir forcément plus sobres.

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