Publié le 8 mars 2024

C’est acté. EDF va bel et bien bâtir dans les années à venir une centrale hydroélectrique afin d’alimenter Neom, la mégalopole futuriste en construction en plein désert saoudien. Or un grand nombre de salariés de l’énergéticien français s’inquiète de l’impact écologique et humain de ce projet hors-norme, et demande aujourd’hui la création d’“un droit de retrait environnemental et éthique”.

C’est une gronde en interne contre le prochain projet qu’EDF a signé avec l’Arabie Saoudite. Et pour cause, comme l’a révélé le 1er mars dernier nos confrères de la cellule investigation de Radio France, il s’agit pour l’énergéticien français de construire en plein désert, très loin de toute source d’eau, une centrale hydroélectrique afin d’alimenter Neom, cette mégalopole qui doit sortir de terre – ou plus précisément du sable – dans la province de Tabuk, au nord-ouest du pays, d’ici la fin de la décennie.

Neom – né de la contraction du grec neo (nouveau) et de l’arabe ‘mostaqbal’ (futur) – est un projet lancé en 2017 par le prince saoudien Mohammed Ben Salmane dans le cadre du plan Vision 2030, qui vise à sortir le royaume du tout pétrole. Dans le détail, cette “ville du futur” de 26 000 km2, abritera une station de ski où doivent se tenir les Jeux asiatiques d’hiver de 2029, une “île de luxe” pour les touristes sur la mer, un complexe industriel en partie flottant et enfin “The Line”, une ville gratte-ciel haute de 500 m et longue de 170 km entièrement décarbonées.

Un projet “contraire à la responsabilité sociétale d’EDF”

Et c’est là que doit intervenir EDF avec la construction d’une station de transfert d’électricité par pompage-turbinage, appelée STEP. Ce barrage doit à terme palier l’intermittence de l’énergie éolienne et du photovoltaïque. Contacté par Novethic, l’énergéticien français nous confirme que “la réponse à cet appel d’offre s’inscrit dans la volonté du groupe d’accompagner des projets de production et de stockage d’électricité décarbonée, contribuant à la transition énergétique en France et à l’international”. Mais c’est bien ce partenariat qui pose le problème.

“Ce n’est pas la première fois qu’EDF travaille sur des projets de décarbonation avec l’Arabie saoudite, mais là, c’est très différent : à qui est destiné ce projet ? A la population saoudienne ou bien est-ce un truc pour ultra-riches complètement farfelu, qu’on essaye de légitimer en utilisant des énergies renouvelables “, s’interroge Jean-Yves Ségura, délégué Force ouvrière (FO) à EDF Hydro auprès de Novethic. “C’est pour cette raison qu’en 2022 nous avons lancé une alerte éthique auprès de la direction”, explique-t-il. Dans la foulée, une enquête auprès des 860 salariés du Centre d’ingénierie hydraulique (CIH) d’EDF a révélé que 78% des répondants considéraient ce projet “contraire à la responsabilité sociétale d’EDF”, et 80% que le risque est “fort” pour l’image du groupe.

Bientôt “un droit de retrait environnemental et éthique” ?

Car en plus de l’aspect environnemental que pourrait avoir ce projet, la question des droits humains se pose également. Dans leur enquête, nos confrères de Radio France ont révélé que plusieurs membres des Howeitat, tribu vivant sur la zone où doit être implanté Neom, ont été arrêtés, et cinq d’entre eux ont été condamnés à mort pour “atteinte à la sûreté de l’Etat”. “Avec ce projet, il y a un risque pour la réputation de notre entreprise alors que son image est déjà dégradée, mais je crains aussi qu’EDF puisse être traînée devant la justice pour non-respect de son devoir de vigilance“, déplore Jean-Yves Ségura. Depuis 2017, la loi française sur le devoir de vigilance impose en effet aux grandes entreprises de prévenir les droits humains et environnementaux sur l’ensemble de leur chaine de valeur. EDF est déjà poursuivi sur son devoir de vigilance dans une autre affaire au Mexique. Mardi 5 mars, il comparaissait d’ailleurs devant la nouvelle chambre spéciale dédiée à la responsabilité sociale des entreprises et au devoir de vigilance dans le cadre du méga projet éolien Gunaa Sicaru.

Est-il possible qu’il soit poursuivi pour Neom ? EDF assure que “dans le cadre de ce contrat, le groupe s’engage à respecter les standards internationaux de protections et de défense des droits humain et des libertés fondamentales”. Rien de moins sûr pour l’avocate Julie Février, qui porte l’affaire contre EDF au Mexique et qui voit dans Neom une nouvelle faille : “Il est clair que ce nouveau projet suscite de nombreuses inquiétudes notamment sur le plan du devoir de vigilance quant à l’identification des risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement”.

Au-delà du devoir de vigilance, la branche énergie de Force ouvrière appelle à la création d’“un droit de retrait environnemental et éthique” pour l’ensemble des employés de l’énergéticien français. Si ce dernier est accepté par le groupe, les salariés pourront quitter un projet qu’ils estiment ne pas être “en adéquation avec les engagements publics” de leur entreprise ou “la nécessité d’engager une transition énergétique exemplaire”, peut-on lire sur le communiqué. En attendant que ce droit soit un jour mis en place, EDF promet avoir “laissé le choix aux salariés de ne pas contribuer au projet s’ils le souhaitaient”.

 

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