Comment avez-vous réagi à l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) cette semaine ?
Très agréablement. C’est une attente que nous avions qui est désormais consacrée au plus haut niveau, avec un caractère solennel. C’est dans ce sens là que “Notre affaire à tous” avait été créée au moment de l’Accord de Paris. C’est donc un très beau cadeau pour les dix ans de l’association. L’avis a en outre été rendu à l’unanimité, ce qui lui confère une autorité maximale. L’avis est extrêmement riche. Il aborde toutes les dimensions de l’action climatique demandées par les étudiants du Vanuatu, à l’origine de l’affaire : nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement et fortement possible, adaptation aux effets du changement climatique, soutien aux pays en développement à travers des financements, obligations de réparation et de cessation en cas de violation, droit à un environnement sain, reconnaissance des générations futures… Bref, cette clarification du droit existant par la CIJ accroît le risque contentieux et nourrira les affaires déjà lancées, notamment devant les tribunaux nationaux. C’est un succès à la hauteur des attentes.
Quelles conséquences cet avis va-t-il avoir sur les entreprises en particulier ?
Dans les obligations des Etats spécifiées dans l’avis, il y a une dimension de réglementation des entreprises, y compris des multinationales. Il s’agit de l’effet vertical de l’obligation. La Cour dit bien que pour atteindre l’objectif 1,5°C et réduire leurs émissions de façon rapide et durable, les Etats ont l’obligation de réglementer les acteurs privés qui sont à l’origine des émissions de gaz à effet de serre. Cela passe notamment par des textes spécifiques comme l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance des sociétés-mères en France, ou les directives européennes sur la durabilité (sur le reporting CSRD et le devoir de vigilance CSDDD). On espère ainsi que l’avis va convaincre Bruxelles de maintenir les ambitions de ces textes qui font actuellement l’objet de tractations pour en amoindrir la portée à travers une procédure omnibus. Si tel était le cas, l’Union européenne devra s’attendre à des recours.
D’autre part, et de façon plus indirecte, les entreprises pourront être jugées à travers la notion juridique de “due diligence” (diligence requise) exploitée dans l’avis et citée à 80 reprises. Il s’agit d’un effet horizontal. Celle-ci équivaut au “devoir de prudence” ou au “devoir de vigilance” et interdit de causer un dommage à autrui par négligence. Elle a servi de fondement pour énoncer les différentes conclusions de l’avis et évaluer les obligations des Etats au regard des différents textes juridiques, qu’il s’agisse de l’Accord de Paris, du droit international général ou des droits de l’Homme. Ce concept est omniprésent en droit et s’inscrit dans une logique qui dépasse le périmètre du droit international public. Les grands entreprises privées doivent donc aussi se sentir concernées par cet avis.
L’avis pointe également de façon spécifique les énergies fossiles…
Cela tient en un paragraphe, dans lequel la Cour précise en effet que “le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de GES – notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis
d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles – peut constituer un fait
internationalement illicite attribuable à cet État”. C’est très synthétique mais très important. Les juges américains et indiens ont d’ailleurs publié une déclaration conjointe pour demander d’aller plus loin sur ce point.
Doit-on s’attendre à une augmentation des risques juridiques pour les entreprises ?
Oui, cet avis renforce significativement les risques juridiques pour les entreprises, et vice-versa nos positions dans les affaires en cours, notamment contre TotalEnergies ou BNP Paribas en France. Nous évoquerons cet avis de la CIJ dans nos prochains échanges écrits et oraux. De plus, les chambres ESG du Tribunal judiciaire et celle des contentieux émergents de la Cour d’appel de Paris, qui sont chargées de ces différentes affaires, ont très certainement déjà pris note de cet avis. À l’image de l’Accord de Paris, cet avis rendu unanimement par quatorze juges pèsera dans la balance. Il montre aux juges nationaux qu’ils ne sont pas seuls. L’étau se resserre donc encore davantage pour les grands pollueurs tels que TotalEnergies.
Cet avis est donc porteur d’espoir ?
Oui, mais le changement ne se fera évidemment pas du jour au lendemain. La bataille climatique ne peut pas être menée exclusivement devant les tribunaux – dont le temps est long, alors que la crise climatique nécessite une réponse urgente. Comme la Cour l’a rappelé, elle a besoin d’une solution coordonnée à tous les niveaux de la vie humaine. On s’en est rendus compte à plusieurs reprises : les meilleurs arguments, même couronnés de succès, comme dans l’Affaire du Siècle, ne suffisent pas. Il est nécessaire d’enclencher un mouvement allant bien au-delà afin de s’assurer d’une réelle volonté politique et sociétale durable. Le recours au droit et aux tribunaux n’est qu’une pièce du puzzle.