La réunion de la dernière chance. Aujourd’hui, lundi 25 novembre, s’ouvre la cinquième et dernière session de négociations (INC-5) pour un Traité mondial sur le plastique. Santé, émissions de gaz à effet de serre, environnement… Alors que les études démontrant les impacts délétères de notre surconsommation de plastique se multiplient, 175 pays sont attendus à Busan, en Corée du Sud, afin d’approuver la mise en place d’un instrument juridiquement contraignant visant à mettre fin à cette pollution d’ici 2040. Mais si ce dernier round pourrait aboutir à un texte décisif, il est encore très difficile de prédire l’issue des discussions tant les dissensions sont nombreuses.
Depuis novembre 2022, quatre sessions de négociations en Uruguay, en France, au Kenya puis au Canada ont permis d’aboutir, au terme de négociations laborieuses, à un vaste “compilation text” de près de soixante-dix pages. Saturé d’options et d’alternatives sans réel consensus, il devait jusqu’à très récemment servir de base lors des discussions de Busan. Des travaux informels, en septembre et octobre 2024, ont néanmoins mis sur la table un “non paper”, un nouveau texte officieux rédigé par le président du Comité intergouvernemental de négociation lui-même, Luis Vayas Valdieso.
Un texte officieux “décevant”
Le but : “rationaliser les discussions autour d’un ensemble limité d’options”, résume l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) dans un billet. Ce document pourrait finalement être le texte proposé aux délégations, bien que “cela dépende de la bonne volonté des Etats”, note Henri Bourgeois-Costa, responsable des affaires publiques de la fondation Tara Océan. Plus resserré, ce “non paper” ne rassure néanmoins en rien la société civile pour obtenir un traité ambitieux. “Bien que le document officieux fournisse un point de départ plus clair (…) que le projet de 70 pages, peu maniable, [nous] mettons en garde contre des lacunes importantes que les négociateurs doivent immédiatement rectifier”, affirme le WWF dans un communiqué.
“Il y a une baisse du niveau d’ambition, confirme de son côté Emmanuelle Bautista, directrice des affaires européennes et internationales au sein de l’éco-organisme Citeo. Le “non paper” contient beaucoup d’encouragements, de should (devrait) au lieu de shall (doit).” Certains articles clés, comme ceux portant sur l’offre, c’est-à-dire la production, et sur le financement, sont par ailleurs dépourvus de texte, laissant la porte ouverte à la tenue, à nouveau, d’un vif débat entre les différents blocs. Les précédentes discussions ont en effet été marquées par de fortes divergences entre les Etats sur la question de la production plastique qui tend à cristalliser les tensions.
Depuis le début des négociations, les pays producteurs de pétrole, dont l’Iran, l’Irak et les pays du Golfe soutenus par la Russie, s’opposent fermement à un objectif de réduction de la production plastique, portant autant sur les volumes de polymères que sur les produits chimiques potentiellement nocifs qui les composent. Aussi appelés “like-minded countries”, ces derniers préfèrent se concentrer sur l’aval, c’est-à-dire le recyclage et la gestion des déchets.
La production plastique au cœur des divergences
Une étude publiée en octobre dernier par l’OCDE conclut pourtant que des politiques strictes sont inévitables pour atteindre l’objectif de l’accord. Sans ça, la production plastique qui se situait en 2020 à 435 millions de tonnes pourrait augmenter de 70%, dépassant ainsi les 700 millions de tonnes en 2040. “Notre analyse montre que des politiques ambitieuses couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques, si elles sont mises en œuvre à l’échelle mondiale, pourraient pratiquement éliminer la pollution plastique d’ici 2040”, affirme Jo Tyndall, directrice de l’environnement à l’OCDE, dans un communiqué. C’est la ligne tenue par une soixantaine d’Etats dont l’Union européenne, le Mexique, l’Australie ou encore le Japon, réunis sous la bannière d’une Coalition de la haute ambition.
Parmi celle-ci, le Rwanda et le Pérou avaient déposé lors de la session d’Ottawa une motion proposant de réduire la production de plastique de 40% d’ici 2040, par rapport à 2025. Si ce chiffre peut paraître ambitieux, une étude commandée par l’Environmental Investigation Agency juge qu’il ne suffirait pas à s’aligner sur la trajectoire de +1,5°C prévue par l’Accord de Paris. La mesure pourrait néanmoins servir de base aux discussions pour cette cinquième et dernière session selon les observateurs.
Les Etats-Unis observés de près
Restent entre les deux blocs les “swing states”, ces Etats qui pourraient faire basculer les négociations d’un côté ou de l’autre. Le Brésil, l’Inde et la Chine en font partie, tout comme les Etats-Unis dont le futur gouvernement soulève de multiples incertitudes. Durant l’été, les négociateurs américains, jusqu’ici neutres, avaient finalement annoncé soutenir l’inclusion de la réduction de la production plastique dans le traité. Mais même si c’est bien l’administration Biden qui prend aujourd’hui place autour de la table des négociations à Busan, ces avancées pourraient être de courte durée.
“Sous une administration Trump, il ne fait aucun doute que les Etats-Unis se rangeraient du côté de la Russie, des Saoudiens, des autres Etats pétroliers”, estimait début novembre Jared Huffman, membre du Congrès américain, interrogé par le média Politico. Si les discussions venaient à être prolongées au-delà de janvier 2025, date à laquelle l’administration Trump prendra ses fonctions, les Etats-Unis pourraient revenir sur leurs engagements. La ratification de l’accord devrait également être remise en cause. Face à la crainte d’une délégation paralysée par la situation, la Plastic Pollution Coalition, dont l’objectif est de mettre un terme à la pollution plastique, exhorte malgré tout “l’équipe de négociation américaine à maintenir et à élargir ses ambitions”.
“La manière dont les Etats-Unis abordent l’INC-5 façonnera l’ambition et l’action internationales en matière de plastiques pendant des décennies, que les Etats-Unis soient ou non partie au traité”, écrit-elle. Cette semaine s’annonce ainsi déterminante. Mais alors que la tâche semble considérable face au temps à disposition des délégations et aux divergences entre les pays, certains observateurs s’inquiètent d’un potentiel report du processus de négociations. Pour l’Iddri, approuver le traité avant la fin de l’année 2024, comme le prévoyait l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement, semble ainsi “de plus en plus hors de portée.”