Les voitures électriques sont au cœur des plans de transition énergétique mais la production de leurs batteries reste un défi de taille. C’est ce qu’illustre le cas de la giga-factory Northvolt Six, qui prévoit de produire et recycler des batteries dans la région de Montréal au Québec. Alors que l’entreprise suédoise, qui fournit une partie des batteries de grands constructeurs comme BMW, Volvo ou encore Volkswagen, ambitionne de “produire les batteries les plus vertes du monde“, c’est notamment l’impact environnemental de cette immense usine qui fait débat.
L’entreprise a jeté son dévolu sur la région de Montégérie, à quelques kilomètres de Montréal, sur un ancien site industriel réhabilité et renaturalisé, pour produire près de 56 000 tonnes de batteries chaque année. Une usine que le groupe veut exemplaire en termes de durabilité, puisqu’elle ne serait alimentée que grâce à l’électricité bas-carbone de la région, essentiellement de l’hydro-électricité. Mais l’envers du décor est tout autre. Selon un groupe de scientifiques qui a publié une lettre ouverte pour s’opposer à l’installation de l’usine, le site choisi pour installer l’usine est désormais “un milieu d’une grande richesse et d’une grande complexité soutenant la vie de nombreuses espèces, dont plusieurs sont menacées“.
L’impact de la giga-factory sur la biodiversité locale
Tortue molle à épine, petit héron blongios, poisson chevalier cuivré : des espèces fragiles, qui vivent dans la centaine de zones humides du site. “Plusieurs années de travaux de décontamination et de revégétalisation ont été nécessaires pour que ce site devienne un refuge pour plusieurs espèces”, indique à Novethic Camille Cloutier, avocate du Centre Québécois du droit de l’environnement, qui porte une action judiciaire contre le projet Northvolt. L’importance écosystémique du site est d’ailleurs reconnue localement : “au printemps 2023, le ministère de l’Environnement avait refusé d’autoriser un projet immobilier sur ce terrain, au motif notamment que l’implantation du projet ne permettrait pas le maintien des caractéristiques d’habitat du site”, poursuit l’avocate.
L’installation de l’usine Northvolt aurait, elle aussi, des conséquences majeures sur les habitats des espèces vulnérables localement, à en croire l'”avis faunique” commandité par le Ministère de l’Environnement du Québec (MELCCFP) publié par Le Devoir. Il indiquait que le projet aurait des “impacts majeurs” en matière de “perte de milieux naturels de haute valeur pour la biodiversité“. Les seuls travaux préparatoires liés à l’installation de l’usine devraient nécessiter la coupe de près de 14 000 arbres, le remblaiement de plusieurs étangs et l’artificialisation d’une grande partie de la zone. Et, selon Camille Cloutier “les impacts de la construction et de l’opération de l’usine demeurent inconnus pour l’instant“.
Dans son avis, les scientifiques du MELCCFP écrivent d’ailleurs que le projet déposé par l’entreprise “n’inclut pas de plan concernant l’aspect de conservation, de création ou de restauration d’habitats fauniques“, qui sont pourtant obligatoires dans la réglementation locale. Malgré tout, l’entreprise a obtenu les autorisations pour lancer son projet après s’être engagée à proposer des mesures “dans les 3 années après l’autorisation”. Contactée par Novethic, elle n’a pour l’instant pas répondu à nos sollicitations mais elle assure dans la presse “vouloir faire partie de la solution” et vouloir “travailler main dans la main avec les groupes qui ont aussi à cœur l’environnement, afin de bâtir des projets économiques porteurs, au bénéfice de la planète.”
La question de la démocratie environnementale et de l’acceptabilité sociale
En outre, la controverse porte sur la manière dont Northvolt aurait obtenu les autorisations pour la construction de sa giga-factory. D’après les documents rendus publics par les autorités québécoises d’éthique et révélés dans La Presse, Northvolt a engagé un dialogue avec le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie dès novembre 2022, sans que ces échanges soient inscrits aux registres officiels. Entre-temps, le gouvernement a modifié la réglementation sur la concertation environnementale. Elle était obligatoire pour tout projet d’une capacité de production de plus de 50 000 tonnes, elle est désormais obligatoire à partir de 60 000 tonnes… Là où Northvolt Six en produira 56 000.
C’est cette procédure de concertation que réclament aujourd’hui les riverains et collectifs. “Nous sommes d’avis que la transition écologique et les projets de grande ampleur doivent être réalisés avec la population et avec transparence. Le public souhaite comprendre tous les impacts de ce projet sur des milieux ayant une grande valeur écologique, et souhaite faire partie de cette grande décision de société” explique Camille Cloutier. La procédure est en cours sur ce sujet.
En attendant, ce cas illustre parfaitement les tensions autour des grands projets liés à la transition énergétique. L’enjeu est de faire émerger une industrie capable de concilier ces nouvelles productions avec le respect de normes environnementales, sociales et juridiques de plus en plus strictes, et de répondre aux attentes de plus en plus fortes des citoyens.