Publié le 28 mars 2024

Les reculs se multiplient au niveau européen sur les ambitions environnementales du continent. Adopté en 2022 et censé entrer en vigueur à la fin de l’année, le règlement sur la déforestation importée, un texte unique au monde, pourrait bien être suspendu. C’est en tout cas ce que demandent une vingtaine d’Etats, dont la France.

La dernière digue du Pacte vert va-t-elle sauter ? Alors que les reculs environnementaux s’enchaînent à l’approche des élections européennes, une majorité de pays appellent désormais à assouplir le règlement sur la déforestation importée, adopté en décembre 2022 et censé entrer en vigueur à la fin de cette année. Trois responsables européens ont ainsi confirmé à Reuters qu’une vingtaine de pays avaient soutenu cet appel, porté par l’Autriche, parmi lesquels la France, l’Italie, la Pologne et la Suède. Une information également confirmée par le média Contexte.

Le règlement européen sur la déforestation importée entend mettre fin à l’importation de produits issus de la déforestation sur le continent. Le cacao, le café, le soja, l’huile de palme, le bois, la viande bovine mais aussi le caoutchouc sont concernés, ainsi que plusieurs matières associées (cuir, ameublement, papier imprimé, charbon de bois, pneus, cosmétiques, etc.). Une première mondiale. Ces règles s’appliqueront également aux produits européens. De quoi provoquer une levée de boucliers chez les agriculteurs, qui pourraient bien obtenir gain de cause.

“Suspendre temporairement le règlement”

Lors du Conseil Agriculture du 26 mars, l’Autriche a en effet demandé une “révision ciblée et immédiate” du texte incluant de prolonger “considérablement” sa période de mise en œuvre “afin de laisser suffisamment de temps” aux agriculteurs, aux forestiers et aux États membres pour se conformer. Vienne demande aussi une “dérogation générale” pour les Etats membres dont la surface forestière n’a pas diminué au cours des dernières décennies, et pour les petits producteurs, selon le document qu’a pu consulter Novethic. “Nous demandons maintenant à la Commission de suspendre temporairement le règlement, permettant une mise en œuvre réaliste, accompagnée d’une révision du règlement”, a confirmé Norbert Totschnig, le ministre autrichien de l’Agriculture, dans un communiqué.

Sollicité par Novethic, le ministère de la Transition écologique en France nuance ces propos. “Au stade de la mise en œuvre du règlement, nous partageons l’attention qu’il faut donner aux inquiétudes de certains professionnels agricoles et forestiers et des autorités compétentes de plusieurs Etats membres sur le caractère réellement opérationnel. C’est ce que Marc Fesneau [le ministre de l’Agriculture, ndr] a dit hier au conseil AGRI”, nous fait-on savoir, tout en assurant que Paris n’appelle pas au “report” du règlement.

Début mars, le Financial Times révélait de son côté que l’Union européenne s’apprêtait déjà à reporter la mise en place de catégories différenciées selon les pays en fonction de leur risque – faible, standard ou élevé –  qui auraient dû déclencher des niveaux de surveillance plus ou moins importants. Par exemple, pour les pays présentant un risque élevé, 9% des opérateurs auraient dû être contrôlés contre 1% pour ceux présentant un risque faible. En l’occurrence, tous les pays s’aligneront sur un risque standard.

“Très mauvais signal”

“Alors que l’un des plus grands défenseurs de la forêt, le leader autochtone Raoni, s’est vu décerner la Légion d’honneur par Emmanuel Macron au Brésil, en même temps, une tentative scandaleuse de saboter la mise en œuvre de la loi européenne contre la déforestation importée a lieu, réagit auprès de Novethic, Boris Patentreger, directeur France de l’ONG Mighty Earth. La France doit être cohérente et soutenir publiquement cette régulation, il s’agit même de la renforcer en incluant d’autres écosystèmes naturels non inclus comme le Cerrado !”.

“Si l’entrée en vigueur de la loi était reportée et qu’une révision devait être discutée, ce serait l’occasion de revoir quelques-unes des grandes options de ce règlement”, abonde Alain Karsenty, chercheur au Cirad dans un post Linkedin. Il cite par exemple les exigences de traçabilité à la parcelle, financièrement et techniquement inaccessibles pour des millions de petits producteurs de café, de cacao ou d’huile de palme. Il propose à la place “des certifications de groupe ou de territoires zéro déforestation”. En outre, une approche graduée pourrait être envisagée. “Interdiction si les produits sont issus de la déforestation illégale, droit de douanes relevés s’ils sont issus de la déforestation légale, pas de droits de douane s’ils sont certifiés zéro déforestation”, cite le spécialiste.

Reste que ce nouveau recul est inquiétant. Le jour même, les ministres de l’Agriculture ont adopté plusieurs mesures pour détricoter les règles environnementales de la PAC, la Politique agricole commune : abandon des jachères obligatoires, haies, contrôles…. La veille, l’adoption de la loi sur la restauration de la nature avait dû être reportée faute d’une majorité qualifiée. “Cela envoie un très mauvais signal aux citoyens de l’Europe, et cela va certainement affaiblir, sinon le leadership tout au moins l’exemplarité, de l’UE dans les négociations internationales sur le climat et la biodiversité”, regrette Alain Karsenty.

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