La stratégie européenne pour se doter d’une filière de production de batteries pour les véhicules électriques a du plomb dans l’aile. Véritable enjeu de souveraineté industrielle, décrété dès 2019 par Bruxelles, il a fait l’objet de plusieurs milliards d’euros de subventions avec l’ambition de soutenir l’avènement de la voiture électrique et de ne pas dépendre uniquement de la fourniture de batteries par les industriels asiatiques, notamment chinois. Les projets ont fleuri, des start-ups industrielles ont été créées et ont suscité l’engouement des investisseurs. Mais aujourd’hui, alors que ces usines ont atteint la phase d’industrialisation des composants de batteries, les difficultés apparaissent.
Northvolt, la société suédoise créée en 2016, se retrouve ainsi au bord de la faillite. Ce fleuron industriel nordique, parmi les meneurs de la réindustrialisation européenne, avait pourtant réussi à lever près de 15 milliards d’euros depuis son lancement, afin notamment d’ouvrir sa gigafactory au nord de Stockholm, qui prévoyait de produire 16 gigawattheures annuels. Mais ses caisses sont aujourd’hui à vide, son usine se retrouve en difficulté et ne produit pas suffisamment. Northvolt a dû annoncer un plan social en septembre concernant 1 600 employés suédois et cherche désormais à lever de nouveaux fonds pour assurer sa survie.
Lente montée en cadence
La France aussi a ses fleurons industriels, qui ont presque tous choisi le nord de la France pour installer leurs sites de production. Ils ne connaissent pas les mêmes difficultés que leur concurrent suédois, mais sont aussi bien moins avancés dans la phase d’industrialisation. Verkor, Envision AESC, mais aussi le Taïwanais ProLogium ont entamé les travaux de construction de leurs gigafactories. Seul Automotive cells company (ACC), surnommé “l’Airbus de la batterie”, a commencé la production dans son usine proche de Douvrin dans les Hauts-de-France, dont la première tranche a été inaugurée en mai 2023. “Nous sommes toujours en phase de montée en cadence, explique Matthieu Hubert, le secrétaire général d’ACC. Compte tenu de la dimension, des difficultés d’apprentissage, cela prend forcément du temps“.
A terme, le premier bloc aura une capacité de production de 15 gigawattheures et fournira les véhicules électriques du groupe Stellantis, l’un des actionnaires d’ACC. Le deuxième bloc, dont la construction est en cours, fournira Mercedes, l’autre actionnaire. ACC compte un troisième actionnaire à son capital, le fabricant de batteries Saft, filiale de TotalEnergies. La montée en cadence prend du temps, quand les fournisseurs chinois, avec leurs 15 ans d’avance, maîtrisent déjà la production à grande échelle. ACC devrait atteindre une production de cellules représentant de 2 000 à 2 500 équivalents batteries à la fin de l’année 2024, un tout petit volume qui témoigne de la difficulté à monter en cadence. Dès l’année prochaine, la gigafactory espère dépasser les 100 000 équivalents batteries, avant d’atteindre les 250 000 unités quand l’usine tournera à pleine capacité.
Revirement technologique pour des batteries moins chères
Mais ce difficile rattrapage technologique et industriel que tentent les Européens sur leurs concurrents asiatiques connaît cette année un nouvel écueil. Le marché de la voiture électrique, qui a décollé ces dernières années, peine à transformer l’essai en raison du coût élevé des véhicules. Les constructeurs doivent lancer des nouveaux modèles plus abordables afin de redresser leurs ventes et, accessoirement, atteindre leurs objectifs réglementaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Or la technologie Nickel-manganèse-cobalt (NMC) dans laquelle se sont lancés les Européens est la plus chère, la batterie pouvant atteindre jusqu’à 40% du prix d’un véhicule. Pour les petites voitures électriques, les constructeurs préfèrent opter pour la technologie Lithium-fer-phosphate (LFP), moins performante mais entre 20 et 30% moins chère. “Nous avons accéléré la recherche sur ce type de chimie, explique Matthieu Hubert. Mais si on décide de se lancer, il faudrait encore près de deux ans pour l’industrialiser.” La filiale de Stellantis et Mercedes a dû mettre en pause la construction de deux autres gigafactories prévues à Kaiserslautern en Allemagne et à Termoli en Italie, le temps de décider vers quelles technologies elle s’orienterait.
Ampère, la filiale de Renault pour l’électrique, a de son côté décidé de nouer de nouveaux partenariats pour les batteries LFP avec le Coréen LG energy solution et le Chinois CATL, Verkor et Envision AESC continuant de lui fournir les batteries NMC. “Ce plan participe à la feuille de route d’Ampere de réduire de 40% ses coûts d’ici la prochaine génération de véhicules“, déclarait Josep Maria Recasens, directeur des opérations d’Ampere, à l’annonce du partenariat en juillet 2024.
Entre revirements technologiques, difficultés pour l’industrialisation et besoins élevés de capitaux, la filière européenne se trouve en pleine crise de croissance. Les industriels sauront-ils la surmonter et assurer la souveraineté technologique appelée de ses vœux par l’Europe ? “On a accompli un travail incroyable en quatre ans, assure Matthieu Humbert. On ne pourra pas s’appuyer sur une filière tout à fait autonome en quelques mois, on est parti pour une décennie.“