C’est un coup de massue pour la sidérurgie française. ArcelorMittal, l’un des leaders mondiaux du secteur, a annoncé il y a quelques jours sa décision de supprimer “environ 600 postes” dans sept de ses sites industriels, principalement dans le nord de la France. Le groupe justifie cette décision par “la crise qui frappe l’industrie de l’acier en Europe”, et pointe notamment du doigt la hausse des prix de l’énergie depuis la guerre en Ukraine, ainsi que la concurrence des entreprises chinoises, en surcapacités chroniques, qui a fait augmenter sensiblement les importations d’acier chinois en Europe.
Après l’allemand Thyssenkrupp, qui avait également annoncé la suppression de plusieurs milliers de postes en Europe, et le sauvetage en catastrophe des aciéries britanniques de British Steel ces dernières semaines, les annonces d’ArcelorMittal sont un nouveau signe d’un secteur européen de l’acier qui peine à définir sa stratégie industrielle et à se réinventer. C’est aussi le symbole des failles françaises et européennes en matière de politique de réindustrialisation bas-carbone, et qui malgré des soutiens importants au secteur de l’acier, n’a pas réussi à engager les entreprises dans une vraie planification industrielle.
Désinvestissement et quête de rentabilité à court terme
La crise industrielle que traverse ArcelorMittal n’est en effet pas nouvelle. Depuis 20 ans, salariés et syndicats alertent ainsi régulièrement sur la situation de désinvestissement subie par les usines françaises du groupe. Retards de livraison liés à des défauts de fiabilité, manque d’entretien, les problèmes de qualité industrielle s’enchaînent depuis des années dans les usines. “On fait du bricolage. Nous avons certaines machines qui tiennent grâce à des échafaudages…” s’indigne ainsi dans La Tribune Julien Walterspieler, représentant CFDT du groupe, qui dénonce notamment l’absence de “rigueur” dans les investissements et la mise à niveau des infrastructures. Du côté de la CGT, on dénonce “la recherche d’une rentabilité à court terme avec le moins d’investissements possible”, qui a “usé les usines” et “pillé les savoir-faire”.
Il faut dire que le géant de l’acier a largement favorisé ses usines au Brésil ou en Inde, où les investissements industriels d’ArcelorMittal se sont chiffrés en milliards d’euros ces dernières années. En face, malgré des résultats historiques liés à la hausse des prix de l’acier depuis le début des années 2020, ArcelorMittal n’a fait bénéficier ses usines françaises que de faibles investissements structurels, entrecoupés de politiques de réduction des coûts, généralisées depuis l’OPA menée par Mittal sur Arcelor en 2006. Avec un appareil industriel vieillissant, impossible de rester compétitif. Même le projet visant à décarboner et convertir les hauts-fourneaux français, qui devait représenter 1,8 milliard d’euros d’investissements pour moderniser et rendre plus durable les usines, a été abandonné en novembre dernier. Récemment, le groupe avait encore annoncé sa volonté de délocaliser ses fonctions support vers l’Inde, créant de nouvelles tensions au sein des effectifs.
Des centaines de millions d’euros d’aides publiques
ArcelorMittal bénéficie pourtant en France d’un soutien important des pouvoirs publics. Réductions sur les factures énergétiques, crédits d’impôt recherche, aide d’urgence, mais aussi allègements de cotisations sociales… Au total, le sidérurgiste a ainsi perçu près de 300 millions d’euros d’aides publiques en 2023. Les pouvoirs publics devaient d’ailleurs continuer à mettre la main à la poche, puisque plus de 800 millions d’euros avaient été promis à ArcelorMittal pour la mise en place de ses projets de décarbonation industrielle, mis à l’arrêt. Côté européen, la Commission a annoncé en mars un “Plan acier européen”, visant à soutenir le secteur autour de plusieurs dispositifs : 100 milliards d’euros d’investissements, protections commerciales, accès à l’énergie facilité. En dépit de ce soutien massif, fourni sans conditionnalité en matière d’emploi et d’investissement, le groupe continue à réclamer “de nouvelles initiatives” pour soutenir la production d’acier européenne. Il y a quelques mois, Aditya Mittal, directeur général d’ArcelorMittal, appelait ainsi l’Europe à renforcer “le Green Deal Industrial Plan et le Plan d’action pour l’acier et les métaux”. Objectif : “soutenir l’accélération de la transition” et “stimuler la demande” pour l’acier vert en Europe.
Or, la remise en cause des régulations européennes visant à protéger les entreprises du continent du dumping social et environnemental sont pour le moment sur la sellette. “Reculer sur les normes sociales ou environnementales, céder au chantage, ramollir les objectifs, c’est réduire la capacité de nos institutions à défendre une véritable stratégie industrielle” commente Pierre Leflaive, spécialiste au Réseau Action Climat., Quant aux politiques de réindustrialisation françaises et européennes, elles peinent à décoller, principalement faute d’investissements dans un contexte de crise budgétaire. Pendant ce temps, ArcelorMittal, qui a généré 1,3 milliard de dollars de bénéfice net en 2024, tente donc de peser de tout son poids de géant industriel pour obtenir des conditions encore plus favorables. Sans garantir que cela empêchera, comme depuis 20 ans, les délocalisations.