C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour la Nef, près de 45 ans après sa création. La petite banque éthique vient d’obtenir son agrément bancaire de la part de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le régulateur français des établissements financiers. “Cet agrément est le point de départ de la saison deux de la Nef”, s’exclame Bernard Horenbeek, le président du directoire de la Nef. L’établissement coopératif devient désormais une banque à part entière, l’agrément étant obligatoire pour pouvoir effectuer des opérations de banque. La Nef avait dû jusque-là s’adosser au Crédit coopératif, membre du groupe BPCE, qui dispose du précieux sésame. “Nous n’avons aucun lien capitalistique et aucun lien de rémunération, il s’agit d’un engagement portant sur des valeurs communes, explique à Novethic Pascal Pouyet, le directeur général du Crédit coopératif. Et une garantie gratuite sur une structure d’un milliard d’euros de bilan, c’est significatif.”
Cette nouvelle étape est particulièrement importante pour la Nef qui, depuis sa création à la fin des années 70, a plusieurs fois dû changer de statut pour s’adapter aux évolutions de la réglementation. Créée sous forme d’association pour financer des projets sociaux, elle est à ses débuts proche de l’anthroposophie, une philosophie sectaire dont elle finit par s’émanciper. Elle est par ailleurs très vite rattrapée par la loi bancaire de 1984, qui réglemente la collecte d’épargne. Elle oblige la petite structure à une première évolution. La Nef prend alors la forme d’une société coopérative, puis s’adosse en 1988 au Crédit coopératif afin de bénéficier de son statut de banque plein et entier. Le Crédit coopératif assure ainsi la liquidité et la solvabilité du petit établissement pendant les 35 années suivantes et lui permet de développer son activité atypique dans le milieu bancaire.
Un modèle d’affaires loin des standards habituels
Et la banque se forge sa propre place dans le paysage bancaire français, en déclinant un modèle d’affaires loin des standards du monde financier, inspiré d’autres grandes banques éthiques européennes comme l’allemande GLS ou la néerlandaise Triodos. “Nous collectons de l’épargne pour financer des projets utiles à l’environnement et à la société, en toute transparence. Il faut que les épargnants sachent ce que l’on fait de leur argent“, résume Bernard Horenbeek. Les entreprises peuvent disposer de presque tous les services bancaires, hormis des activités de financement par les marchés. Les particuliers, quant à eux, ne peuvent pas ouvrir de compte courant à la Nef.
Du moins pour l’instant. La nouvelle indépendance bancaire va lui permettre de lancer de nouveaux projets. “Cela nous donne plus de la liberté, confie Bernard Horenbeek. Avec le Crédit coopératif, nous atteignions les limites de leur capacité à nous accompagner. Nous ne pouvions plus nous développer.” La banque a en effet connu un essor important ces dernières années, en raison de l’afflux de personnes souhaitant épargner de manière plus responsable. Son encours total d’épargne atteint ainsi 1,07 milliard d’euros, un montant qui a plus que doublé en cinq ans, pour un encours de crédit de 816 millions d’euros. “C’est un modèle qui intéresse des clients engagés qui ont compris que leur argent avait un impact“, remarque Pascal Pouyet.
L’appétit pour le modèle de la Nef a été une nouvelle fois démontré avec la levée de fonds lancée en 2022 pour accompagner la demande d’agrément bancaire. La banque coopérative souhaitait renforcer son capital de 30 millions d’euros en trois ans. “Nous avons atteint 25 millions d’euros en deux ans, cela nous a permis de montrer à l’ACPR que même s’il n’y a pas un actionnaire unique, nous pouvons avoir les reins solides“, se réjouit Bernard Horenbeek. Les deux tiers ont été levé auprès de citoyens, le reste auprès d’investisseurs institutionnels comme la Banque européenne d’investissement, Mirova et la Banque alternative suisse.
Un modèle influent
La Nef fait en effet encore office de petit poucet dans un monde bancaire poussé à la concentration pour renforcer leur résilience. “Les banques sociales et éthiques occupent, certes, une niche d’un point de vue quantitatif, reconnaît Simon Cornée, professeur à l’université de Rennes et membre du Centre de recherche sur l’économie et le management, affilié au CNRS. Mais avec une approche plus qualitative, on observe une énorme croissance de ces banques, car leur modèle est influent.” En France, la Nef affichait ainsi un modèle d’investissement responsable bien avant que celui-ci ne se généralise. Des cousins éloignés ont été créés au fil du temps, comme certaines sociétés de crowdfunding spécialisées dans les énergies renouvelables ou encore les récentes néobanques vertes (Green-Got, Hélios, etc.), inspirés par la capacité de la banque à financer des projets utiles pour le bien commun.
Sans toutefois reproduire la spécificité des banques éthiques. “Elles vivent dans le même monde financier et monétaire que les autres banques, mais elles y ajoutent une forme d’intermédiation des valeurs : les valeurs non financières impactent la valeur financière, analyse Simon Cornée. La rémunération du capital est plus faible, car elles peuvent prêter à des taux d’intérêts inférieurs à d’autres banques, toutes choses égales par ailleurs, lorsque les valeurs du client correspondent à celles de la banque.”
La Nef, pour sa saison deux, devra cependant veiller à préserver sa structure de gouvernance, organisée autour de ses quelque 48 000 sociétaires. “Nous devons grandir mais ne pas nous perdre. Il faut donc faire croître la démocratie“, confirme Bernard Horenbeek qui entend veiller à préserver le contact avec les personnes investies dans le projet. Il cite l’exemple d’une résolution sur le partage de la valeur, coconstruite avec les sociétaires, selon laquelle les bénéfices seront avant tout réinvestis dans la banque, les dividendes pour les sociétaires arrivant après. Une plateforme internet a été mise à leur disposition pour recueillir les idées, sur laquelle 2000 personnes sont intervenues. Leurs propositions ont été synthétisées par 25 sociétaires tirés au sort, dans une résolution présentée avec succès à l’assemblée générale du mois de mai.