Publié le 24 janvier 2025

La nouvelle version du Nutri-Score, annoncée début 2024, n’a toujours pas été déployée dans les supermarchés français. Plus sévère, elle ne fait pas l’unanimité au sein des entreprises agroalimentaires qui feraient pression sur le gouvernement pour retarder son application. L’indicateur nutritionnel est pourtant entré dans les habitudes des consommateurs, qui s’y réfèrent de plus en plus.

On vous en avait parlé il y a tout juste un an, et pourtant, depuis, rien n’a bougé. Début 2024, le Nutri-Score devait fait l’objet d’une importante réactualisation, conduisant à un durcissement de sa notation pour de nombreux aliments. Céréales du petit déjeuner, boissons “sans sucre” contenant des édulcorants, viande rouge, yaourts à boire… Les notes associées à ces produits devaient perdre quelques lettres suite à un ajustement des seuils de nutriments à favoriser ou à éviter. Le but : adapter l’indicateur aux recommandations de santé et aux transformations de l’industrie alimentaire.

Une mise à jour qui devait être déployée, à partir du 1er janvier 2024, dans l’ensemble des pays ayant adopté le Nutri-Score : l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse. Toutefois, si “cela a été fait dans les six autres pays, (…) de façon incroyable, la France n’a toujours pas publié l’arrêté interministériel officialisant l’évolution du mode de calcul”, regrettent Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Serge Hercberg, chercheur nutritionniste, dans une tribune publiée le 8 janvier par Libération.

“Retarder la décision le plus tard possible”

Validé par le ministère de la Santé il y a six mois, l’arrêté officialisant la nouvelle version du Nutri-Score est en attente de publication depuis maintenant plusieurs semaines. Ce retard serait lié, selon Mathilde Touvier et Serge Hercberg, “à des pressions des sociétés agroalimentaires mécontentes de la nouvelle classification”. Une stratégie de lobbying “classique”, selon David Garbous, Président du collectif En Vérité, qui y voit la volonté de “retarder la décision le plus tard possible”.

Après publication de l’arrêté, les industriels auront en effet deux ans pour se conformer à la mise à jour du mode de calcul. Les nouvelles notes du Nutri-Score pourraient donc mettre encore plusieurs mois avant d’arriver dans les rayons des supermarchés. En parallèle, le dossier du Nutri-Score obligatoire européen, auquel s’opposent certains Etats comme l’Italie, semble lui aussi à l’arrêt depuis le mois de juin dernier. “Tous ceux qui sont contre le Nutri-Score en France prétextent ce blocage au niveau européen pour ne plus avancer, explique à Novethic David Garbous. Et quand on n’arrive pas à avancer, on finit par reculer.”

L’indicateur fait par ailleurs l’objet de critiques de la part de représentants politiques et de membres du gouvernement. C’est notamment le cas du député Renaissance et ancien ministre de l’Economie, Antoine Armand qui souhaitait en mars 2024 “réviser les méthodes de calcul” pour “protéger le travail des éleveurs”. Mais aussi d’Annie Genevard, l’actuelle ministre de l’Agriculture. “Avec cette histoire de Nutri-Score, il y a un péril mortel pour nous”, avait-elle déclarée en 2021 en référence à la filière du comté, alors qu’elle était députée du Doubs.

Les industriels en plein dilemme

C’est donc une véritable bataille qui semble s’organiser dans les coulisses de l’industrie. D’un côté, certains acteurs choisissent la voie du désengagement, comme Bjorg, mais aussi Danone qui se revendique pourtant “pionnier du Nutri-Score”. Alors que les nouvelles règles de l’indicateur nutritionnel devraient par exemple faire passer la note de la gamme Actimel de B à D, l’entreprise a annoncé, en septembre dernier, retirer “progressivement” le logo de ses yaourts à boire. “Cette évolution apporte une vision erronée de la qualité nutritionnelle des produits laitiers à boire”, se défendait alors le groupe dans un communiqué transmis à Novethic.

De l’autre, certains distributeurs, favorables au Nutri-Score prennent quant à eux les devants. Carrefour a ainsi annoncé en novembre 2024 son affichage automatique sur les produits qu’il vend en ligne. “À partir d’aujourd’hui, nous demandons aux industriels d’apposer de manière systématique le Nutri-Score sur leurs produits vendus sur www.carrefour.fr, explique Alexandre Bompard, PDG du distributeur, dans une publication LinkedIn. S’ils ne le font pas, nous calculerons le Nutri-Score à leur place et le publierons sur notre site, sauf opposition formelle de leur part, qui sera notifiée à nos clients.” Plus de 500 fournisseurs, dont Coca-Cola et Ferrero, sont concernés.

Car si le Nutri-Score est avant tout au service de la santé des consommateurs, son impact se traduit également au niveau du chiffre d’affaires des industriels. Selon une étude réalisée par Kantar en mars 2024, les produits affichant le logo nutritionnel enregistrent de meilleures ventes, même ceux notés D ou E. “Les marques qui refusent d’apposer le Nutri-Score sur leurs produits montrent qu’elles sont déconnectées des attentes de leurs clients, résume David Garbous. Pour elles, c’est une bataille perdue d’avance.”

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