C’est le sujet du moment à Bercy : comment simplifier la vie des entreprises ? Cette question a fait l’objet d’un rapport préalable au projet de loi Simplification, remis le 15 février au Ministre de l’Economie Bruno Le Maire. Le document énumère une quinzaine de propositions de simplifications administratives. Parmi elles, certaines pourraient attaquer directement les institutions du dialogue social en France. Le projet prévoit notamment de transformer l’organisation des CSE (Comités Sociaux et Economiques), principale instance de dialogue entre les directions et les salariés.
En particulier, les consultations du CSE ne seraient plus obligatoires pour les entreprises de moins de 250 salariés, tout comme l’élaboration d’une Base de Données Économiques, Sociales et Environnementales (BDESE), qui rassemble des indicateurs environnementaux et sociaux sur les activités de l’entreprise. Il ne serait plus non plus obligatoire, pour les entreprises de moins de 250 salariés, de disposer d’un CSE doté d’une personnalité juridique, c’est-à-dire ayant la capacité de recruter, détenir un patrimoine, ou lancer des actions en justice. En résumé, il s’agit de limiter fortement le rôle et les prérogatives du CSE, et donc de limiter les institutions du dialogue social dans presque toutes les entreprises françaises, puisque moins de 1 500 d’entre elles ont plus de 250 salariés en France, sur près de 220 000.
Le dialogue social encore affaibli, notamment en matière sociale et environnementale
Une limitation du dialogue social qui aura évidemment des conséquences en matière sociale et environnementale. À l’heure actuelle, et ce depuis la loi Climat et Résilience, les CSE des entreprises de plus de 50 salariés doivent être informés, via la BDESE, des données sociales et environnementales liées aux activités de l’entreprise. Et ils doivent également être consultés de manière régulière et obligatoire lorsque l’entreprise prend des décisions susceptibles d’avoir des conséquences en matière sociale et environnementale, ce qui devait permettre d’impliquer les salariés dans la transformation écologique et sociale de leur entreprise.
Les propositions faites au gouvernement remettraient tout cela en cause : “Si demain tous les seuils sont rehaussés comme le préconise le rapport, tout le dialogue social sur les enjeux sociaux et environnementaux deviendra facultatif pour la plupart des entreprises, sans garde-fou légaux. Les CSE n’auront plus de visibilité sur tous ces enjeux. Ce serait assez dramatique” explique à Novethic Delphine Villaume, consultante et experte auprès des CSE.
Armand Blondeau, co-fondateur du Printemps Ecologique, qui œuvre pour développer le dialogue social en entreprise sur les sujets de transformation écologique et sociale, voit également dans cette décision un recul majeur : “On est très choqués par ce qui est proposé. Les salariés et leurs représentants sont en demande de plus de dialogue social sur des sujets comme la transformation écologique. Ils ont envie de s’engager sur les thématiques RSE, de faire leur part et les CSE sont de bons outils pour ça. Ces dernières années, les entreprises étaient en train d’apprendre à mieux se saisir de ces enjeux là et à construire un vrai dialogue social, notamment dans les PME qui en ont grand besoin. Là, c’est une grosse régression qui va générer beaucoup de frustrations chez tout le monde.”
Un mal français et un frein à la transformation durable de l’économie
Ces propositions ont de quoi interroger, alors que depuis quelques années, de nombreuses institutions, dont récemment le Sénat dans un rapport d’information, alertent justement sur la dégradation de la qualité du dialogue social en France. Les entreprises françaises peinent à progresser en matière de démocratie en entreprise et la concertation avec les représentants des salariés apparaît à des niveaux parmi les plus faibles d’Europe. “En France, on a un vrai besoin de dialogue social, d’échange entre les directions et les salariés, mais beaucoup d’entreprises ont encore du mal à s’en saisir. C’est culturel malheureusement…” explique Armand Blondeau. Le phénomène semble d’ailleurs s’amplifier ces dernières années, comme le confirme Delphine Villaume : “depuis les ordonnances Macron, la fusion des instances du dialogue social les avaient déjà affaiblies, elles ont de plus en plus de sujets à traiter, avec de moins en moins de moyens.”
Cette crise du dialogue social est l’une des causes des difficultés des entreprises françaises en matière sociale et environnementale, comme le rappelait le CESE dans son rapport “Le travail en question” publié en 2023. Armand Blondeau explique : “dans les PME en particulier, il y a énormément de souffrance au travail, de burn-out, de problématiques de harcèlement moral, de vraies questions sur la transition écologique… Souvent, les entreprises où ça se passe mal sont celles dont les directions essayent d’esquiver leur responsabilité en refusant le dialogue social. Au contraire, les entreprises où ça se passe mieux sont celles qui voient le dialogue social comme des outils utiles, où la direction discute avec les CSE pour trouver des solutions“.
Les reculs proposés par le projet remis à Bruno Le Maire ne risquent pas de rendre la situation plus favorable, et ce, alors que la concertation apparaît comme un rouage essentiel pour construire une transition “juste” et pour répondre à la crise du sens au travail dans l’entreprise. Les partenaires sociaux l’ont bien compris. Ils viennent justement de signer un Accord National Interprofessionnel proposant d’étendre le dialogue social en matière de transition écologique dans les entreprises. Reste à voir comment le sujet sera transcrit par le gouvernement dans son projet de loi, qui doit intervenir d’ici quelques mois. En attendant, les critiques montent, et une pétition a été lancée par des acteurs du dialogue social pour s’opposer à ces propositions.