Les craintes se multiplient autour des conséquences pour la santé des PFAS, ces substances “per- et polyfluoroalkylées” créées et fabriquées par l’industrie chimique, quasi indestructibles et présentes dans de nombreux produits de grande consommation. Avec le temps, elles s’accumulent dans l’air, le sol, l’eau, la nourriture et, in fine, dans le corps humain, notamment le sang, les reins ou le foie.
Alors que de nombreux riverains et associations ont déposé des recours en justice, “l’inquiétude est très présente” aussi parmi les ouvriers des usines qui produisent ou ont recours à ces substances, plus exposés que la moyenne, selon Damien Olry, délégué syndical CGT de Solvay pour la France. “On se demande ce qu’il en sera plus tard”, s’inquiète auprès de l’AFP Cédric Cozo, délégué syndical CGT de l’usine Solvay de Salindres. Elle a arrêté son activité le 28 mars dernier après avoir produit de l’acide trifluoroacétique (TFA), qui sert de matière première dans la production de produits phytosanitaires ou pharmaceutiques (antidiabétiques, antiviraux, anti-VIH, thérapies anticancéreuses…).
Préjudice d’anxiété
Parmi les “anciens” qui ont fait leur carrière à l’usine, “il y en a qui ont été malades“, poursuit le délégué syndical, sans pouvoir faire le lien avec certitude. “C’est l’inconvénient du PFAS en général (…), il attaque plusieurs choses, mais ce n’est pas précis comme l’amiante“, ajoute-t-il. Un rapport d’expertise commandité par le CSE de l’usine a souligné “un contact trop fréquent” des ouvriers “avec les substances” produites, notamment le TFA, qui à l’heure actuelle n’est pas réglementé, et dont le risque sanitaire est en cours d’évaluation par l’Anses.
L’avocat des salariés, Ralph Blindauer, qui entend contester le caractère économique des licenciements, a indiqué son intention de faire reconnaître parallèlement le préjudice d’anxiété des salariés, devant les prud’hommes. “Je pense qu’on n’aura pas le même débat que sur l’amiante”, a déclaré Me Blindauer, estimant que “le caractère cancérogène, mutagène (…) de ces polluants éternels est reconnu aujourd’hui”.
Après Solvay à Salindres, le groupe américain Chemours, qui fabriquait des PFAS pour produire des mousses anti-incendie, a lui aussi annoncé la fermeture de son usine dans l’Oise en raison, selon la direction, de “la baisse des commandes”, conséquence du durcissement de la législation. En France, une loi restreignant la fabrication et la vente de produits contenant ces molécules a été votée en février.
Craintes pour l’emploi
Au sein de SEB, qui utilise du PTFE – lui aussi de la famille des PFAS – pour fabriquer ses poêles anti-adhésives, les salariés sont avant tout “inquiets pour leur emploi”, même si les ustensiles de cuisine ont échappé à la loi, assure Mickaël Feuvre, coordinateur CFDT. “A un moment donné, on va se retrouver dans la situation où les PFAS seront interdits, et on sera face à une industrie en France qui n’aura pas su s’adapter et qui va ne plus pouvoir produire”, craint Jean-Louis Peyren, de la CGT-Chimie.
Sa fédération a interpellé en février le Premier ministre, demandant une “protection immédiate des salariés exposés aux PFAS”, sollicitation restée lettre morte à ce jour, selon le syndicat. Ce silence s’explique peut-être en partie par le “peu de données” disponibles permettant d’évaluer les expositions des salariés, comme le déplore l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Il a lancé fin 2024 une grande enquête, qui doit livrer ses résultats d’ici fin 2025, pour mieux connaître “la population salariée présentement exposée à ces PFAS” et établir “s’il y a des moyens de prévention déjà mis en œuvre”, a déclaré l’INRS à l’AFP.
Selon un rapport de l’ONG Générations Futures publié cette semaine, quelque “5,4% d’industries sont responsables de plus de 99% de toutes les émissions” de PFAS en France. Sur le podium, on trouve l’usine BASF de Saint-Aubin-Lès-Elbeuf, au sud de Rouen, et l’usine Solvay de Salindres, dans le Gard, citée plus haut, toutes très émettrices de TFA. Une troisième usine, moins connue, complète le trio de tête des sites les plus émetteurs, selon Générations futures : Finorga, à Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), qui produit aussi des principes actifs pharmaceutiques, également présentés par l’ONG comme un “super-émetteur” de TFA. “Si l’activité produit des effets nocifs sur la santé, il faut arrêter la production, il n’y a aucune ambiguïté là-dessus”, a réagi le maire de Mourenx, Patrice Laurent (divers gauche, ex-PS).