En 2018, Apple était la première entreprise à dépasser les 1000 milliards de dollars de capitalisation boursière. Six ans plus tard, ce record paraît bien loin. Nvidia, la société américaine spécialisée dans la conception de semi-conducteurs, vient de dépasser les 3000 milliards de dollars de capitalisation, dépassant tout juste Apple et se rapprochant de Microsoft (3180 milliards de dollars). Des chiffres à donner le tournis, d’autant que Nvidia a franchi ce cap à une vitesse record : sa capitalisation franchissait les 1000 milliards en mai 2023, puis les 2000 milliards en février 2024. Ces trois entreprises font partie des “sept magnifiques”, avec Alphabet (maison-mère de Google), Meta (Facebook, Instagram, etc.), Amazon et Tesla. A elles seules, ces sept géants de la tech représentent le tiers de la capitalisation de tout le S&P500, l’indice composé des 500 plus grandes entreprises cotées américaines.
Ces entreprises sont positionnées sur des marchés stratégiques pour les Etats-Unis, certaines ont notamment pu bénéficier de politiques publiques comme l’Inflation reduction act (IRA), ou encore le Chips and Science act. “L’évolution du cours de Nvidia est en cohérence avec l’évolution des bénéfices de cette entreprise“, explique Axel Botte, directeur de la stratégie de marché d’Ostrum asset management. Nvidia s’est construite en développant des semi-conducteurs pour les marchés des jeux vidéos et des crypto-monnaies. Elle surfe aujourd’hui sur le développement de l’intelligence artificielle, technologie pour laquelle ses puces s’arrachent à prix d’or. S’ajoutent à cela les tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et la Chine qui lui donnent un avantage sur son marché.
Des pratiques financières qui amplifient les valorisations extrêmes
Cette concentration extrême de la richesse sur une poignée d’entreprises est amplifiée par les pratiques des acteurs financiers sur les marchés notamment celles qui procèdent à des rachats d’actions pour favoriser leurs actionnaires. Une pratique particulièrement utilisée aux Etats-Unis, où elle représente autour de 1000 milliards de dollars par an. Les investisseurs, de leur côté, se trouvent également pris dans cette course à la taille. “Même si ces capitalisations peuvent paraître excessives, le risque de ne pas en détenir dans les portefeuilles est encore plus grand pour les investisseurs. Ils sont forcés d’en acheter“, souligne Axel Botte. Même chose pour les fonds indiciels, qui se contentent en général de répliquer un indice boursier, et qui sont aussi poussés à détenir une grande part de ces entreprises.
Au risque, pour les investisseurs, de détenir des portefeuilles pas aussi diversifiés que prévus, car trop concentrés sur les omniprésents sept magnifiques. “Le marché évolue sur un nombre très réduit de thématiques, comme les sept magnifiques ou encore les médicaments anti-obésité, et on crée des poches de survalorisation“, explique le stratégiste d’Ostrum AM. Et les acteurs des marchés financiers peinent à élargir leurs horizons, tant ces entreprises leur font gagner d’argent. A court terme…
Risque en cas de tempête boursière
Pour Pierre Gruson, professeur de finance à Kedge business school, cette concentration se révèle particulièrement inquiétante. Dans une tribune publiée dans Le Monde, il pointe le fait que les actions de ces Big Tech sont particulièrement volatiles et que la moindre variation de leur cours de bourse peut faire s’envoler en fumée des milliards de dollars. “La résistance ou la vulnérabilité des Magnificent Seven sera déterminante en cas de tempête boursière, de par leur poids et leurs implications sur l’économie réelle“, écrit le professeur de finance. Il prédit que “la prochaine secousse sur les marchés promet d’être tellurique et instantanée“.
Le déséquilibre provoqué par ces capitalisations boursières démesurées pèse également sur le reste de l’économie. En concentrant les investissements sur quelques grandes multinationales, les entreprises de taille moyenne se retrouvent un peu délaissées. Elles occultent aussi une partie de l’économie qui va beaucoup moins bien que ce que les Big Tech pourraient laisser penser. Une analyse de Associated Press révèle que le nombre d’entreprises zombies, des sociétés surendettées qui peinent à survivre, ne cesse d’augmenter. Elle dénombre en 7000 dans le monde parmi les entreprises cotées, dont 2000 aux Etats-Unis, soit 30% de plus en dix ans.