Publié le 23 juin 2024

Alors que de plus en plus d’entreprises s’engagent à éliminer la déforestation et la conversion des terres de leurs chaînes d’approvisionnement, les deux tiers d’entre elles ne parviennent toujours pas à étayer leurs affirmations par des données claires et crédibles.

Les grandes entreprises sont encore très en retard en matière de lutte contre la déforestation sur leur chaîne de valeur. C’est le constat qui ressort du dernier rapport du Carbon Disclosure Project (CDP), qui a analysé avec l’Accountability Framework Initiative (AFI) les nouvelles données sur la façon dont les entreprises identifient et gèrent leurs impacts liés aux forêts. Au total, 1 152 grandes entreprises mondiales ont ainsi répondu aux questionnaires liés aux enjeux forestiers proposés par le CDP et l’AFI, et les résultats sont très mitigés.

Ainsi, alors que près de 900 entreprises analysées opèrent dans un secteur à risque en matière déforestation, notamment dans les matières premières agricoles, à peine 50% d’entre elles font un reporting précis de leurs progrès en matière de lutte contre la déforestation, preuve que l’enjeu n’est pas encore bien identifié par la plupart des grandes entreprises.

Des données lacunaires et des systèmes de certification peu fiables

Pire, à peine 186 entreprises fournissent aujourd’hui une cartographie précise et robuste des risques de déforestation, et une feuille de route permettant de réduire la déforestation sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Et à peine une soixantaine d’entreprises fournissent les données permettant d’affirmer qu’elles ont éliminé la déforestation sur au moins une de leurs chaînes d’approvisionnement. Tomasz Sawicki, responsable des enjeux liés à l’usage des terres au Carbon Disclosure Project, résume : “ces dernières données indiquent que la majorité des entreprises sont encore loin d’être sur la voie d’atteindre des chaînes d’approvisionnements sans déforestation ou conversion avant 2025, alors que c’était l’objectif.”

Le rapport pointe notamment les données lacunaires présentées par les grandes entreprises sur leurs activités, leurs productions, ou les cartographies de leurs fournisseurs, signe d’un manque persistant de traçabilité au sein des chaînes de valeurs transnationales. Autre problème : trop d’entreprises “se reposent sur l’utilisation de systèmes de certification qui ne fournissent pas suffisamment de preuves” pour valider l’absence de déforestation sur leur chaîne de production. En particulier, le rapport montre que près de la moitié des entreprises utilisent des systèmes de certification dits “mass balance”, c’est-à-dire des systèmes traçabilité uniquement documentaires, qui ne permettent pas d’identifier physiquement l’origine des matières premières. Pour Leah Samberg, scientifique à l’AFI et coordinatrice de l’étude, “ces nouvelles données démontrent que les entreprises doivent investir dans des systèmes de surveillance et de contrôle plus efficaces”, et notamment des systèmes de certification réalisés par des tiers de confiance indépendants, en s’appuyant sur une traçabilité physique.

Accélérer les progrès en matière de traçabilité et de reporting

Le rapport note toutefois des progrès en matière de prise en compte de la déforestation par les grandes entreprises. Alors qu’il y a quelques années encore, la déforestation était un enjeu négligé des rapports extra-financiers, masqué notamment par l’enjeu carbone, elle commence à s’y imposer. En 2024, un peu plus de 200 grandes entreprises fournissent ainsi des données précises sur leurs progrès en matière de lutte contre la déforestation et les conversions forestières, et près de 50% d’entre elles affichent des chaînes d’approvisionnement à plus de 90% sans déforestation. Des progrès rendus possible entre autres par le développement de nouveaux outils de plus en plus performants pour suivre les chaînes de production : surveillance par satellite, outils issus de la blockchain, organismes tiers certificateurs de plus en plus efficaces, etc.

La pression exercée ces dernières années par les associations environnementales partout dans le monde a également poussé certains gouvernements à adopter des réglementations plus contraignantes en matière de déforestation. De plus en plus de pays producteurs, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, ont établi des cadres normatifs permettant de limiter la hausse de la déforestation, même si le phénomène persiste comme le rappelait il y a quelques mois le rapport mondial sur la lutte contre la déforestation. L’Union Européenne a également pris position sur le sujet, avec son règlement sur la déforestation importée, qui impose aux entreprises souhaitant importer et commercialiser des produits en Europe, de garantir l’absence de déforestation tout au long de leurs chaînes de production. Mais déjà, ce règlement est contesté : les Etats-Unis poussent d’ailleurs l’UE a le reporter, pour éviter de nouvelles charges sur les exploitants.

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