Publié le 16 octobre 2020
SOCIAL
Covid-19 : le couvre-feu instauré en France relance le débat sur le nombre de lits de réanimation et l’économie de la santé
Selon le gouvernement, au rythme actuel de la seconde vague épidémique, les 5 800 lits de réanimation du pays seront bientôt saturés. D’où la décision d’instaurer un couvre-feu dans le pays pour limiter la transmission du virus et limiter les cas graves. Mais pour une partie du personnel hospitalier, une meilleure anticipation de la crise de l’hôpital aurait permis d’ouvrir des lits sans paralyser la population.

@PremierMinistre
Pour Emmanuel Macron et son Premier ministre, il n’y avait plus une seconde à perdre. L’évolution rapide de la deuxième vague épidémique en France justifiait l’instauration d’un vaste couvre-feu pour 20 millions de citoyens. "Nous traversons un moment inédit de notre histoire", a affirmé Jean Castex lors d’une conférence de presse jeudi 15 octobre. Il souligne une dégradation "nette et rapide de la situation sanitaire", avec plus de 100 morts et 193 personnes admises en réanimation en 24 heures. Le Covid-19 a déjà fait plus de 32 000 morts en France.
L’enjeu du gouvernement est d’éviter que "les hôpitaux fassent face à une augmentation des malades qui dépasseraient nos capacités". Rien qu’à Paris, 46 % des lits de réanimation sont occupés par des patients Covid, rappelle Jean Castex. Mais de nombreuses voix critiquent cette stratégie, arguant qu’il ne fallait pas reconfiner partiellement la population, mais plutôt ouvrir de nouveaux lits de réanimation.
Pas de prise en compte de la crise de l’hôpital
C’est le cas de Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France. Selon lui, "on paralyse le pays parce qu’il manque de la place dans les hôpitaux. On sent que le président a compris la gravité de la crise, mais il ne prend pas la mesure de la crise hospitalière. Et on doit paralyser le pays parce que les hôpitaux manquent de lits. Ils essaient de freiner l’épidémie. (…) Ils ne répondent pas à la priorité qui est de rouvrir des lits à l’hôpital".
De leur côté, les syndicats hospitaliers, qui avaient appelé à une mobilisation devant les Invalides à Paris pour dénoncer les insuffisances du Ségur de la santé, regrettent également que le gouvernement n’ait pas mieux anticipé le manque de lits, mais aussi le manque de personnel et la faiblesse des salaires. Les soignants, déjà épuisés, craignent que "la deuxième vague fasse s'écrouler notre système de santé et d'action sociale".
Le Premier ministre dénonce vivement cette critique sur le besoin de lits qu’il juge "doublement fausse". D’une part, "aucun système hospitalier ne saurait faire face à une telle épidémie qui pourrait conduire à des dizaines de milliers d’hospitalisations si nous ne faisons rien en amont pour l’enrayer". D’autre part, "pour créer des lits, il ne suffit pas de s’équiper en matériels et en locaux. Il faut aussi former des médecins et personnels soignants spécialisés. Vous savez bien que c’est impossible en quelques mois", justifie-t-il.
Un numerus clausus limitant
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, soutient : "un anesthésiste-réanimateur, c’est 11 ans de formation. On a supprimé le numerus clausus (le nombre autorisé de formations de médecins, ndr) il n'y a que deux ans. Auparavant, il y avait des limitations, c’est regrettable". Il ajoute qu’il y a aussi des besoins de formations d’infirmiers et d’aides-soignants spécialisés. Il ajoute : "Nous sommes passés de 5 000 lits armés (équipés de respirateurs, de médicaments, ndr) avant la crise, à 5 800 lits durant. Si nécessaire, nous augmenterons les capacités mais cela demandera de supprimer des blocs opératoires, des salles de réveil, de déprogrammer des chirurgies".
La veille, Éric Maury, président de la Société de réanimation de langue française, était auditionné par la commission d’enquête du Sénat sur la gestion des épidémies. Pour lui, la question n’est en effet pas tant celle des lits que celles des personnels soignants. "Sans déprogrammation, je ne comprends pas très bien comment on pourra faire fonctionner ces unités de réanimation au plan du personnel. On est à notre capacité maximale. (…) Le problème, c’est un problème de personnel. Les structures, les respirateurs, on les a".
Marc Leone, chef du service d’anesthésie-réanimation de l’hôpital universitaire de Marseille, confirme : "On peut monter théoriquement jusque 10 à 12 000 lits (de réanimation, ndr), mais nous n’aurons pas le personnel à mettre en regard". Olivier Véran tranche : "Notre objectif n’est pas de faire le plein de réa ou d’avoir des réas extensibles à l’infini. Ce que l’on veut c’est empêcher les cas graves".
Ludovic Dupin @LudovicDupin