Ce samedi 9 décembre doit être la grande journée de manifestation de la société civile à la COP28. C’est même une tradition. Chaque année, le samedi entre la première et la deuxième semaine de négociations, est organisée une grande marche pour le climat visant à rappeler aux États l’urgence à agir contre le changement climatique. Or, cette action, comme toutes les autres manifestations organisées depuis le début du sommet, n’aura pas lieu à l’extérieur mais sera circonscrite à l’enceinte de la COP et plus spécifiquement à la "zone bleue" gérée par l’ONU, accessible aux seules personnes accréditées, au grand regret des associations présentes. Et ce n’est pas spécifique qu’à la COP, toute manifestation dans le pays est interdite et passible d’emprisonnement.
"La liberté d’expression et la liberté d’association sont des droits humains fondamentaux pour une action climatique efficace et équitable", a dénoncé vendredi 8 décembre le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et de l’environnement, David Boyd. Dès le départ, le président de ce 28e sommet pour le climat, Sultan Al-Jaber, avait pourtant promis que ce rendez-vous serait "inclusif" et "transparent". Sur le papier, cela donne 100 000 personnes accréditées, soit deux fois plus qu’à la COP précédente à Charm el-Cheikh en Égypte. Mais côté transparence, près de 2 500 lobbyistes des énergies fossiles – soit 4 fois plus que l’année dernière – ont été enregistrés non pas en tant que tel, mais en tant que membres des délégations nationales.
Une COP organisée dans un climat "répressif"
"Comment peut-on parler de COP inclusive dans un pays qui ne permet même pas à la société civile de s’exprimer librement sur les enjeux environnementaux et les droits humains ?", confie à Novethic Myrto Tilianaki, chargée de plaidoyer auprès de la division Environnement et Droits humains à Human Rights Watch (HRW). "Les Émirats profitent de cette COP pour promouvoir une image de tolérance et cela semble fonctionner", ajoute-t-elle, puisqu’aucun des 130 chefs d’États ayant fait le déplacement jusqu’à Dubaï n’a évoqué publiquement la question du respect des droits humains au sein des Émirats arabes unis.
Et s’il fallait une preuve supplémentaire du climat "répressif" dans lequel est organisé cette COP : aucun militant émirati habitant dans le pays ne s’est exprimé ou a manifesté ces dix derniers jours. Le seul à témoigner l’a fait par écran interposé depuis l’étranger. "Le risque était trop grand", explique François Graas d’Amnesty International. Selon les deux ONG, les Émirats détiendraient au moins 64 de leurs ressortissants pour des raisons politiques, dont le militant des droits de l’Homme Ahmed Mansoor, en détention depuis 2017. Un événement d’ailleurs prévu pour réclamer sa libération a été reporté à deux reprises et est toujours en attente de l’approbation onusienne.
Des ONG obligées de s’autocensurer ?
Car rien ne peut être organisé en dehors des quelques mètres carrés de la "zone bleue" et sans l’accord préalable des Nations Unies. En résumé, seules les personnes accréditées peuvent y prendre part en respectant certaines règles "restrictives". "On nous demande plein d’informations sur ce que nous voulons faire, comment nous voulons le faire et quel message nous voulons faire passer", détaille François Graas. "Et nous ne pouvons pas nommer explicitement un pays ou une personne", ajoute-t-il, sous peine d’être débadgé et donc de ne plus accéder à l’enceinte de la COP et aux négociations.
Ce sommet, avant même qu’il ne s’ouvre, avait suscité l’inquiétude des défenseurs de l’environnement et des droits humains quant à leur sécurité. Et cela s’est confirmé sur le terrain. "À notre arrivée à l’aéroport, après la vérification des passeports, nous avons tous été pris en photo individuellement, puis une carte de téléphone nous a été donnée", se souvient le militant belge d’Amnesty International. Une pratique inquiétante, quand "on sait que les autorités émiraties sont de grandes utilisatrices de la surveillance numérique". Ce que nous a également confirmé Myrto Tilianaki. "On sait que tous les participants de la COP sont susceptibles d’être surveillés et cela suscite la peur et l’autocensure", abonde-t-elle. Selon un rapport publié par HRW, le 30 novembre dernier, 300 000 caméras et drones ont été déployés dans la ville.
Vendredi 8 décembre, un appel a ainsi été lancé auprès de l’ONU pour que la société civile maintienne la pression. "Ces marches pour le climat qui rassemblent des milliers de personnes permettent d’attirer les yeux du monde entier via les images tournées par les chaînes de télévision et de faire pression sur les négociateurs", explique François Graas. Reste à savoir si cet appel sera entendu d’ici à la prochaine COP puisque l’Azerbaïdjan est d’ores et déjà pressenti pour être le pays hôte et que la liberté d’expression, de réunion et d’association y est aussi extrêmement limitée, indique Amnesty International sur son site.
Blandine Garot